Blanche-Neige Online

33. Siffler en travaillant

En début d'après-midi, je décide de faire l'inventaire des placards en vue d'établir une liste de courses pour les prochains jours. Matthias m'a donné des consignes via le site de la Sorcière. Les plats sont assez faciles à faire, et je peux acheter tout ce qu'il faut. J'ai aussi reçu une carte bancaire virtuelle liée à l'application Pomme-d'amour, que mon patron crédite en fonction de dépenses que j'estime nécessaires.

Matthias passe de temps en temps, très absorbé dans ses réflexions. Il se balade en permanence avec sa tablette ou l'oreille vissée à son téléphone. Des ingénieurs et des mannequins défilent dans la maison. Au premier étage, les chambres sont transformées en bureaux et des ordinateurs, des écrans et des lampes tapissent les sols et les murs. J'ignore ce qu'ils font, mais l'ambiance est à la fois studieuse et décontractée, dans ce milieu de start-up. Tout ce petit monde circule dans les escaliers, passe prendre à boire dans la cuisine ou discute dans le jardin, derrière les baies vitrées ouvertes. Matthias m'a présentée comme la responsable de la logistique et je fais partie de leur équipe au même titre que n'importe qui. Certains ingénieur-e-s sont très jeunes, tout juste la vingtaine, et, comme les mannequins ne sont pas beaucoup plus âgés, j'ai l'impression de ne pas trop détonner ici.

Je me sens bien. J'ai de la chance d'avoir trouvé ce petit boulot ! Un bon point pour la sorcière !

Je suis plongée dans l'inspection des placards. Je dois faire la liste de ce qui manque et demander une livraison de repas à domicile. L'équipe doit travailler tard à cause d'un projet urgent pour un défilé pour la Maison Rosso d'après ce que j'ai saisi.

Soudain, je sens une présence dans mon dos. Je me retourne brusquement et tombe sur le regard vert et étonné de Jay :

— Hé ! Bob l'Éponge, t'es encore là aujourd'hui ! Je te manque tant que ça ?

Il me fait un clin d'œil.

Argh ! Il est aussi lourd que sexy, la nature fait si mal les choses !

— Qu'est-ce que toi, tu fais ici ? répliqué-je. Tu me poursuis ?

— Non, je ne suis pas un de tes fans accros du costume de soubrette. Je ne voudrais pas que tu espères trop, commente-t-il en s'accoudant au plan de travail sur lequel je suis en train d'écrire ma liste.

— Tu viens de tuer tous mes espoirs. Moi qui rêve en secret de tomber amoureuse d'un nain à la mine renfrognée, je suis au trente-sixième dessous à présent. Que pourrais-je faire pour avoir une once de ton attention, mon petit Grincheux ?

Je prends une pose de cruche, mains jointes sous le menton, et bats des cils pour lui signifier que je me moque de lui.

— Roxanne t'a accepté donc je veux bien faire de même. Mais...

— Mais ? je fronce le nez.

— Mais évite de chanter avec les lapins et les écureuils, je n'aime pas trop les rongeurs. Sinon, c'est quoi ton boulot ici ?

— Intendante et toi, que fais-tu dans le coin ?

— Je rends service à Roxanne, je dois poser pour sa nouvelle collection capsule.

— Tiens donc, tu étais là, Jay ?

Jay se fige. Mon patron nous regarde depuis le couloir. Stella est juste à côté de lui. Elle nous dévisage d'un drôle d'air, en serrant son livre de mathématiques contre elle.

— Jay, ajoute Matthias d'un ton monocorde, l'équipe t'attend à l'étage. Tu es en retard.

— Ouais, ouais ! Il me salut et passe à côté de Stella. J'ignore ce qu'il murmure mais elle évite son regard.

Matthias soupire :

— Si vous voulez vous voir tous les deux, ce serait mieux en dehors des heures de bureau.

— Mais non !  Je ne sors pas avec... Mais non, mais pas du tout ! Et puis, Jay est au lycée. Moi, je vais à l'université !

— Jay a tout juste dix-huit ans, il est redoublant ! m'explique Stella en fixant le mur face à elle. Nous sommes dans le même lycée. Il a le même âge que toi, Blanche, il n'y a rien de choquant à ce que tu lui plaises.

— Tu vas au lycée avec lui ? dis-je, surprise. Tu le fréquentes ?

— Non, elle fait la moue, on ne se parle pas.

— Cette semaine, il travaille avec moi sur un projet en lien avec le lancement de produit pour la soirée dont je t'ai déjà parlé, reprend Matthias. Tu risques de le croiser souvent. Mais, plutôt que de parler de ça, Blanche, peux-tu aller à l'école Le Petit Prince ? Il faut rester un peu avec Théo, puis le ramener à la maison tout de suite après.

— Théo ?

— C'est mon fils, sourit Matthias. Je t'envoie l'adresse de l'école ainsi que son profil via Pomme-d'amour. Le site a un réseau spécial pour les parents et leurs enfants, l'école y est rattachée.

— Tu t'occupes de ce microbe ? se marre Jay, qui nous écoutait depuis la rampe d'escalier. Bonne chance avec ton nouveau nain, Blanche-Neige !

Je m'apprête à répliquer quand le profil de Théo s'affiche sur mon écran avec un joyeux bip et que l'image du nain Timide apparaît dans la foulée.