45. Ne m'appelez pas Blanche-Neige...

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Ai-je le droit d'accepter un cadeau d'un homme qui n'est pas un proche ? Je fais la moue en touchant le tissu brodé.

— Je vais rendre la robe à Matthias. Je préfère me payer moi- même ma tenue. Je ne veux pas dépendre de quelqu'un, ni être redevable à qui que ce soit.

— C'est ton honnêteté que j'aime tellement, rit Roxanne. Mais pour cette fois tu ne peux pas refuser car, vois-tu, c'est cette robe que tu dois porter.

— Pourquoi celle-là précisément ?

— Parce que c'est la robe de la princesse que tu incarnes.

— De quoi parles-tu ?

— Tu sais qu'il s'agit d'un lancement de produit de la marque Rosso, avec les équipes de Matthias et même le site Pomme-d'amour.com, n'est-ce pas? Eh bien, certaines invitées incarneront des héroïnes de conte de fées dont des princesses dans des robes haute couture.

Roxanne m'entraîne vers son dressing pour y accrocher la robe sur un portant.

— Je lance une collection capsule pour la marque Rosso et en parallèle nos tenues Haute-Couture sont intégrée à la campagne de publicité de pomme-d'amour.com. Voilà ma tenue. (Roxanne tend son index vers une robe bleu ciel qui brille tant qu'elle ressemble à du cristal.) Je suis censée incarner Cendrillon, la princesse aux chaussures enchantées. En tant que représentante de la firme Rosso, ça ne pouvait être que moi, n'est-ce pas ?

Elle rit.

— La tienne, Blanche, ne te rappelle rien ?

Je fixe la robe longue. Son bleu nuit et ses broderies jaune jonquille ne me disent rien de spécial. Le bustier est incrusté de pierres brillantes bleues et dorées. La seule princesse à porter ces couleurs...

— Ce n'est pas...

— Si, dit Roxanne en hochant la tête. La princesse qui accompagnera Matthias à cette soirée sera également l'ambassadrice de Pomme-d'amour.com et incarnera Blanche-Neige.

— Oh, non ! Tout mais pas ça !

Je ne veux pas mettre cette robe. Je ne veux pas incarner cette princesse. C'est un cauchemar.

Se déguiser... Je me souviens des jours de carnaval en primaire. Au milieu des super-héros, une petite princesse devrait théoriquement être en sécurité. Théoriquement. Mais, si le masque nous permet d'exprimer un autre trait de notre personnalité, si le déguisement nous ouvre un champ de possibilités infini grâce à notre imaginaire d'enfant, la vie m'a appris que, sous l'idéal mer- veilleux de cette fête aux costumes chamarrés, se cache la sombre facette de la nature humaine.

Ma main se resserre sur le tissu de cette robe haute couture envoyée par Matthias, de la même manière que mes mains d'enfant froissaient avec désespoir mon déguisement dans la cour d'école.

Blanche-Neige est un conte que maman me lisait. Et dans mes rêves, allongée dans mon petit lit, je quittais la réalité où ma timidité maladive me bloquait et entrais dans un nouvel univers : il y avait dans une forêt magique une chaumière, un foyer merveilleux qui n'attendait que moi. C'était un endroit où la sécurité et le calme prenaient le pas sur les disputes quotidiennes de mes parents. Un lieu extraordinaire où des nains m'accueillaient comme une amie. Des amis rien que pour moi, qui veillaient sur moi et me donnaient des conseils bienveillants. Un lieu où j'étais préservée de la cruauté de la vie.

Il y a des petites filles qui veulent être des princesses pour la richesse et les robes magnifiques. Il y a des gens qui aiment les contes de fées pour les histoires d'amour et de magie. Blanche-Neige a survécu à la méchanceté d'une reine maléfique et rencontré son prince. À neuf ans, ces histoires de bisous ne m'intéressaient pas.

Blanche-Neige OnlineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant