30. Le trône

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Assis de travers sur un genre de trône impérial, Rob ne perd aucun détail de mon visage qui vire à l'écarlate quand le photographe me demande de me rapprocher, ni de mon regard façon yeux globuleux de poisson hors de l'eau quand je comprends que je vais poser avec... avec Rob ?

Mais pourquoi ? Pour quelle raison est-ce lui le mannequin masculin ? J'évite de contempler sa tenue moderne de prince, faite de jean, et de la comparer avec mon costume de maid.

J'essaie de jouer l'indifférence quand je dois m'asseoir sur l'accoudoir du trône, tout près de lui. Tandis que les deux autres filles en tenue de princesse prennent des poses lascives et plus que sensuelles, je suis droite comme la justice. Rien ne me déride. Mannequin n'est pas mon métier, c'est plus qu'évident.

Le photographe me fait des remarques toutes les minutes et les deux filles me lancent des regards énervés. Je fais perdre du temps à tout le monde. J'ai envie de m'enfuir. J'évite les yeux de Rob comme je peux. Il ne m'a même pas adressé la parole à part un bref bonjour, comme s'il refusait de me parler.

Au bout d'une demi-heure, le photographe me prend à part pour me remettre les idées en place et je ne sais comment m'excuser.

- Faites un effort, mademoiselle ! On vous retouchera à l'ordinateur, mais on ne fait pas de miracles non plus ! Détendez-vous !

- On peut faire un essai différent, propose soudain Rob.

Sa voix me fait sursauter. Je le dévisage, ne sachant pas comment réagir.

Ses yeux m'évitent pourtant.

- Différent comment ? demande le photographe.

- Prenez les photos, je m'en occupe. Mesdemoiselles, s'il vous plaît, pouvez-vous sortir du cadre.

Il donne un coup de pied dans le trône, qui dévie totalement, et me propose de m'y assoir de pofil. Le photographe ne voit que le haut dossier du trône de là où il se tient et peut-être mes jambes qui dépassent. Impossible pour quiconque de voir mon visage en entier. Sauf pour Rob. Sa main retire avec délicatesse la coiffe de ma tête et la lance au loin. Il se penche et c'est tout mon être qui s'emplit de son parfum si doux. D'une main posée sur l'accoudoir, il se tient en extension au-dessus du siège, nous sommes si proches que nos fronts se frôlent presque. De sa main libre, il attrape une mèche de mes longs cheveux et la porte à ses lèvres.

Ses yeux plongent dans les miens, j'arrête presque de respirer.

- Blanche, murmure-t-il si bas que je me demande même si je n'invente pas sa voix, que fais-tu avec mon frère. Te voir avec lui me rend nerveux !

Nerveux ? Je suis dans une tenue ridicule, à bosser dans un milieu dans lequel je n'ai rien à faire ; je n'entends que les battements de mon cœur dans mes tempes tellement le bleu de ses yeux annihile mes pensées, et c'est lui qui est nerveux ?

- C'est mon employeur, murmuré-je en retour.

Les sourcils de Rob se froncent et il rapproche encore son visage du mien. Ses lèvres sont presque sur ma joue, je sens son souffle près de mon oreille.

- Blanche, je t'en supplie. Ne travaille plus pour lui.

Personne n'a pu entendre ses mots, prononcés si bas que, même moi, je me demande s'ils sont réels. Sa main gauche relâche doucement la mèche de cheveux, qui glisse sur mon épaule, ses doigts effleurent mon bras et je fixe ses lèvres pleines. Je m'apprête à répliquer que je n'ai d'ordres à recevoir de personne, quand il se relève brusquement et se détache de moi.

- On a ce qu'il faut ? demande-t-il soudain au photographe, me faisant revenir à la réalité d'un lieu où nous ne sommes pas seuls.

- J'imagine que l'image est plus parlante de cette manière qu'avant ?

- Oui, parfait ! s'extasie le photographe, qui est déjà en train de faire défiler les photos qu'il vient de prendre.

- J'adore te voir travailler, Rob, c'est toujours si original, se moque Matthias, qui nous observe dans son coin.

Je ne l'avais pas vu nous fixer. Pas plus que Jay, qui croise les bras avec un air courroucé.

- Bon, on pourrait y aller, moi aussi j'ai des trucs à faire...

Rob ignore son frère, prend sa veste et s'en va avec Jay, sans un regard vers moi. Matthias hausse les épaules. Ça n'a pas l'air de l'étonner.

Mon employeur se rapproche de moi, tandis que je vois Rob et Jay disparaître.

- Tu veux être payée comment, Blanche, par virement ou en liquide ? demande Matthias.

- Quoi ? Ah, euh... du liquide, c'est possible ? J'ai besoin d'argent en urgence.

- Vraiment ? Bien sûr, c'est pour ça que tu as accepté le travail si vite, en déduit-il.

Il met les mains dans ses poches et fixe un point sur le plafond, il semble réfléchir.

- Dans ce cas, j'aurais peut-être besoin de tes services pour autre chose, qu'en dis-tu ? Tu serais libre ?

- Je suis on ne peut plus libre.

- J'ai vu sur ton CV que tu avais été monitrice l'été dernier en colonie. Je cherche une baby-sitter pour l'été et j'ai aussi besoin d'une intendante pendant les heures creuses de la journée, qu'en dis-tu ?

Oh ! La chance ! Tant pis si me voir fréquenter son frère rend Rob nerveux ! Je ne lui dois rien et j'ai besoin de ce job.

- Ce serait super !

- Parfait, sourit mon nouveau nain. On se verra demain ici pour le programme et le contrat. Tu veux que je te dépose chez toi, tu habites loin ?

- Me ramener ? Pas la peine, je loge chez ta voisine.

- Chez Roxanne ? s'étonne-t-il.

- Oui, elle m'a d'ailleurs invitée à rester toute la semaine chez elle. Elle est vraiment géniale !

- Tu habites chez Roxanne, c'est bien, ça... (Il semble réfléchir.) Je veux dire, c'est pratique si tu travailles pour moi...

Il me sourit, une mèche noire frôle doucement ses lunettes.

- À demain, Blanche. Je compte sur toi. Passe le bonsoir à Roxanne.

Je hoche la tête sans un mot. Cet homme est troublant... mais bon : j'ai un job ! Et ça, ça se fête !

Blanche-Neige OnlineWhere stories live. Discover now