32. Le cinquième nain

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Ce matin, je me suis levée assez tôt afin d'être à l'heure à mon nouveau job. En pénétrant chez le frère de Rob, je vois plein d'informaticiens avec leurs ordinateurs portables monter vers les bureaux du premier. Quand je me présente à mon employeur, celui-ci me tend un livre épais en me détaillant le poste :

- Blanche, tu travailleras à mi-temps comme baby-sitter pour mon fils et le reste du temps comme intendante pour gérer la maison et l'équipe qui travaille dans les locaux. J'ai aussi besoin d'aide pour quelques courses ponctuelles. Pour commencer, Stella a oublié son livre de mathématiques et il faudrait le lui apporter, soupire- t-il comme si c'était habituel.

- Stella ?

- Stella est la fille de connaissances, je suis son prof de soutien scolaire. Je l'héberge temporairement. Je t'envoie ses coordonnées sur Pomme-d'amour, comme ça tu la reconnaîtras tout de suite. Elle t'attend devant les portes de son lycée.

Il pianote à nouveau sur son écran, et mon portable bipe. Je vois en « Recommandation d'amis » le nom de Stella s'afficher. J'appuie sur « Demande d'amis » et aussitôt ma requête est acceptée. En miroir magique, c'est l'image du nain Simplet qui s'affiche. Simplet, le nain muet ? Sérieusement ?

- Si tu entends une guitare, c'est la bonne personne ! Je te recontacte pour te dire ce qu'il y aura à faire ensuite. J'ai une vidéoconférence ce matin avec l'étranger, donc nous nous verrons juste après pour le programme de la semaine.

- Matthias, tu travailles dans quel domaine ? Hier, c'était avec des mannequins et, aujourd'hui, je vois des informaticiens partout.

- Je suis le responsable de Beauty Inc., une start-up qui fait du traitement d'images. Nous avons différents clients comme la GoldMine, Pomme-d'amour.com et également la Maison Rosso.

Cela explique la présence de Rob et son lien avec Roxanne, me dis-je. Sans compter le fait que la Sorcière savait qu'il cherchait quelqu'un.

***

À pied, aller au lycée est une question de minutes, c'est vraiment à côté. Le bâtiment de style napoléonien est gigantesque et suggère des salles de cours obsolètes avec des classes surchargées. Devant les portes, des élèves s'agglutinent en petits troupeaux. De leurs conversations joyeuses s'échappent les noms de quelques profs, des plaintes sur la charge de travail et, je suppose, quelques ragots amoureux. Ma vie au lycée me semble si lointaine, comme issue d'une dimension parallèle. Moi aussi, j'étais comme eux, à peu de choses près. Moi aussi, j'ai eu peur pendant les examens, révisé tard le soir pour avoir de bonnes notes. Moi aussi, j'ai ri aux larmes pendant les intercours. Je me souviens encore de la cour goudronnée et un peu défoncée, des murs gris délavés et de nos trousses remplies de petits mots que l'on s'échangeait discrètement pendant les cours, à l'insu des professeurs qui passaient outre à nos délires d'adolescents irrespectueux.

Soudain, la cloche sonne et tous les élèves entrent dans le lycée. Malheureusement, je ne vois toujours aucune trace de la fameuse Stella. La localisation GPS de son profil m'indique pourtant qu'elle est à proximité. Je comprends comment Jay a pu me retrouver si facilement en plein Paris.

Une mélodie semble venir du parc derrière moi, voilà mon indice ! J'entre dans le square. Assise sur un muret, les pieds se balançant dans le vide, une jeune fille en jean et pull à capuche fredonne un air que je ne connais pas en pinçant les cordes de sa guitare. La mélodie est simple mais entêtante. Je m'arrête à quelques mètres d'elle.

Ses joues rebondies sont dévorées de taches de rousseur, ses longs cils semblent dorés à la lumière du soleil et ses cheveux bouclés d'un roux très sombre.

La chanson se termine et Stella lève son visage. Lorsqu'elle me voit la fixer, elle rougit brusquement, comme si elle avait été prise la main dans le sac. Elle ne doit pas apprécier qu'on l'écoute chanter.

- Bonjour, dis-je pour briser le silence. Ses yeux gris m'observent. Je m'appelle Blanche, je travaille pour M. Duval.

Elle saute du muret, serrant sa guitare, puis regarde autour d'elle, prête à déguerpir. Je m'avance et lui tends le livre de mathématiques. À sa mine dégoûtée succède une moue désespérée.

- Vous ne lui direz pas, n'est-pas ? demande-t-elle, paniquée.

- À qui ?

- À M. Duval : vous ne lui direz pas que je joue de la guitare au lieu d'aller en cours, d'accord ? supplie-t-elle.

- Il m'a donné ce livre pour toi, est-ce que...

- Oh ! C'est la cata ! s'écrie-t-elle en se rongeant les ongles. J'avais promis de travailler avant le début des cours. Maintenant, il va me donner encore plus d'exercices...

- Il y en a déjà une sacrée liste !

Et je lui montre la feuille autocollante jaune sur la couverture.

- Argh, il en a déjà rajouté ?

Elle s'assoit dans l'herbe en poussant un long soupir.

- Les sciences... dit-elle comme si elle souffrait le martyre, je n'y comprends rien. Je suis stupide pour ces choses-là... Je suis stupide.

Elle s'allonge en position d'étoile, sa guitare à ses côtés.

- Matthias est un monstre de logique. Les mathématiques, la physique-chimie, l'économie, tout ce qui a des chiffres, c'est comme un jeu pour lui... Pour moi, c'est comme un labyrinthe de pensées obscures. Ces exos, c'est de la torture, dépourvue de fantaisie ! Bon, j'adore M. Duval, je ne dis pas le contraire, mais il est tellement sérieux que, des fois, j'ai envie de lui dessiner des moustaches roses dans son sommeil et de le forcer à chanter des chansons de dessins animés, juste pour rigoler. Pas toi ?

À la pensée de mon patron avec des poils au feutre rose sur le visage en train de se trémousser sur un refrain de générique pour enfants, j'éclate de rire. Je m'assois près de cette drôle de petite rouquine.

- Comment ferait-on pour le forcer à chanter ? (Je rentre dans le délire, tellement cela m'amuse.)

- On va trouver... Mais, si tu deviens complice, attention ! Il ne va pas apprécier. Tu vas te prendre des exos toi aussi !

Nous rions aux éclats. Je suis une vraie gamine.

- Pourquoi M. Duval te donne-t-il autant de devoirs ?

- Pour que je ne décroche pas au lycée. Je suis mauvaise élève et j'ai beaucoup séché dernièrement.

- En quelle classe es-tu ?

- Première, j'ai seize ans.

Nous sursautons en entendant la seconde sonnerie du lycée. Stella se lève et me fait un signe d'adieu. Il y a quelque chose d'amusant chez elle et, en même temps, de très triste. Il me semble évident que Stella n'a aucune envie de mettre les pieds en cours. Je la vois soupirer à fendre l'âme avant de pénétrer dans l'immense bâtiment gris, son manuel sous le bras.

Je me demande quel genre de souhait Stella a fait sur Pomme-d'amour.com...

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Voilà c'était le chapitre d'aujourd'hui : notre nouveau « nain » Stella est donc « Simplet ». Pourquoi ? Parce qu'elle se considère elle-même comme étant une cancre et qu'elle ne parle pas facilement au lycée.

Et bien sûr, vous savez quel autre personnage a perdu sa voix dans les contes ?
C'est la Petite sirène !
Quand vous aurez fini ce roman, n'hésitez pas à lire Mermaid Online sur mon compte Wattpad, dont Stella est l'héroïne (on y retrouve tous les personnages et même Madame La Sorcière qui cette fois prend le rôle de la Sorcière des Mers...)
Bises

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