Elle aimait la pluie

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Elle aimait la pluie,

Et puis les journées en solitaire,

Les grands espaces et les silences,

Les rafales de vent dans ses cheveux

Et les parapluies qui peinaient sous l'averse.

Que le monde est grand, quand on en contemple l'horizon.


Elle aimait le temps qui s'absente,

Les journées où tout se fuit,

Peut-être parce qu'on y existe d'une manière bien différente,

Le cœur à moitié endolori,

La pluie devient mystérieusement une amie.

Les corbeaux qui croassent ne sont pas des présages,

Je crois qu'elle aimait ne rien laisser sur son passage.

Il y avait là une folle liberté,

Un quelque chose de spontané

Qui jaillissait dans sa poitrine

Les après-midi de mélancolie.


Il y avait là quelque chose d'étonnamment précieux,

De beau et de profondément vivant

Que personne ne pouvait voir

Mais qu'elle savait préserver quand même.

Il faut croire que cela ne compte pas vraiment

L'approbation des gens,

Quand on a déjà tout perdu

Ou qu'on a jamais voulu tout gagner.


Je crois qu'elle avait le désespoir de vivre,

Mais que c'était mieux que l'envie de mourir,

Elle ne bataillait pas avec des événements tragiques,

Juste avec le vide béant de son coeur,

Et puis, quand le ciel pleurait à sa place,

Elle se sentait forte l'espace d'un instant,

Je crois qu'elle aurait donné beaucoup pour qu'il continue de pleuvoir.

Mais qu'elle se demandait à quoi bon, puisque tous rêvait de soleil.


Le problème de ceux qui ont le cœur en peine en permanence,

C'est qu'ils ne connaissent que cela,

Au point que même la joie pourrait leur sembler fade,

Elle, qui voudrait les sauver du néant de brume où ils ont échoué,

Je crois qu'elle, elle avait fini par aimer y errer,

La mélancolie a ce côté suave et séducteur qui perd les âmes,

Quand tout a fané, il reste la fleur du poète,

L'éternelle beauté de celui qui aime même la laideur,

La joie irrépressible de la banalité,

L'étrange saut entre la réalité et l'appréhendé.

Car à trop être seule, je crois qu'elle vivait un peu ailleurs,

On ne discernait plus que sa silhouette,

Les ombres lui avaient dérobé son visage,

Et le son de sa voix n'était qu'un souvenir fragile

Que le son de la pluie recouvrait facilement.


J'aime à croire qu'elle s'est estompée sous la pluie

Lors d'une de ces après-midi qu'elle chérissait,

C'est moins triste que de la chercher sans cesse.

Elle existera toujours,

Les pavés humides renvoient son pâle reflet,

Les rues vides lui chantent l'ode des déracinés,

Je sais qu'elle aurait aimé que l'on ne vienne pas l'y déranger.

Pourtant, je m'arrête encore près de l'arbre,

J'espère quelque chose qui n'adviendra jamais,

Car ce geste lui ressemble.


Poésie fugitiveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant