3 - Changer de vie

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Trois jours plus tard, une voisine toqua à la porte pour déposer quelque chose pour Hécate. La porte s'entrouvrit lentement en grinçant, le silence pesant l'envahit. Face à l'absence de réponse, elle se permit d'entrer. Une atmosphère oppressante l'accueillit alors qu'elle reprenait son souffle pour appeler Hécate. Elle fut figée, glacée, face à l'état macabre de la maison. Ravagée, des tâches de sang maculaient les murs. Un frisson d'horreur la parcourut.

La femme, la voix nouée par l'effroi, demanda : « Est-ce qu'il y a quelqu'un ? » Mais pas de réponse. Seul un son répétitif, presque sinistre, secouait l'air : un « boom », puis un autre, en provenance de l'étage. Son instinct mêlé de terreur l'incita à gravir lentement chaque marche de l'escalier.

Elle ouvrit la porte de la chambre avec précaution, mais son soupir de soulagement fut aussitôt étouffé par l'horreur. Là, assis contre le mur, se trouvait Quincy. Son visage était dépourvu d'expression, son regard vide fixé sur le plafond. Le garçon se contentait de cogner compulsivement sa tête contre le mur, ce qui faisait résonner le bruit glaçant dans toute la maison.

— Quincy, mon petit, qu'est-ce qui s'est passé ici ? demanda-t-elle complètement affolée.

— Ma mère a été tuée, ma mère a été tuée, ma mère a été tuée, répétait-il.

Le garçon était également dans un état effroyable : ses vêtements avaient été arrachés, son visage était sale et scarifié, et son corps, plein d'hématomes, avait maigri.

La femme le prit par la main pour le ramener chez elle, elle pouvait le sentir grelotter et voyait qu'il était complètement étourdi. Elle lui donna à boire et à manger et tenta de le sortir de cet état en le rassurant :

— Il ne faut pas que tu t'inquiètes, tu aurais dû venir me voir beaucoup plus tôt. Raconte-moi ce que tu as vu. Quelqu'un est venu chez vous ?

— Non, répondit-il machinalement.

— Est-ce que ta maman est partie de la maison sans te dire où elle allait ?

— Du sang, je suis rentré et j'ai vu du sang.

— Tu penses qu'on lui a fait du mal ?

— Non, pas son sang, quelqu'un d'autre.

— Bon écoute, je comprends pas trop ce qui s'est passé, mais si tu n'as pas retrouvé ta mère morte et que ce n'était pas son sang alors je suis sûre qu'elle va bien, dit-elle sans trop d'assurance.

— Ah bon ?

— Mais oui, mon ange, peut-être qu'elle a eu un problème et qu'elle a dû se rendre de toute urgence quelque part, mais c'est tout à fait possible qu'elle revienne. De toute évidence, cela t'a rendu fou, les Lunatics ont tendance à sombrer dans la folie quand ils sont séparés de l'être qu'ils aiment le plus au monde, ce n'est pas la première fois que je le remarque.

La femme continua à lui parler longuement de sa famille, de l'histoire, elle le garda un mois entier auprès d'elle en espérant voir Hécate revenir, mais ils restaient sans nouvelles. Quincy n'avait, pour une fois, plus envie d'aller à l'école, des habitants apprirent la disparition de sa mère et certains commencèrent à se moquer de lui.

— Ils sont tarés, ces Lunatics, voilà que sa folle de mère est partie et l'a complètement oublié, en plus elle a sûrement dû tuer des gens sur son passage, cette sauvage ! Ils n'ont que ce qu'ils méritent !

Comme cela devenait de plus en plus invivable pour Quincy, la femme qui le gardait décida qu'il fallait qu'il parte. Elle ne pouvait le garder éternellement chez elle et le regard des autres commençait à être pesant. Elle alla donc fouiller chez eux à la recherche d'une potentielle famille de Hécate qui pourrait prendre en charge son enfant. En ouvrant un tiroir, elle trouva une lettre adressée à Hécate :

« Ma chère Hécate,

j'espère que tu te portes bien. Je t'écris cette lettre suite à ta demande de précisions sur le livre que je t'ai donné. La partie que j'ai rajoutée et que tu ne comprends pas ne t'est tout simplement pas destinée, je ne prendrai donc pas la peine de te l'expliquer. J'ai néanmoins fait en sorte qu'en réunissant les trois, on puisse trouver l'emplacement dont je vous avais parlé à tous les deux.

J'espère sincèrement que tout se passe bien là où vous êtes et que notre fils va bien. Je sais que tu m'en veux, mais je tiens à te dire que tous les jours, je ne peux m'empêcher de penser à vous deux.

Je t'embrasse fort.

WM »

La lettre provenait d'une adresse du continent et l'expéditeur était un certain Will Miles. La femme lui adressa une lettre en lui racontant ce qui s'était passé dans les moindres détails et elle lui proposa de rencontrer son fils. Une semaine plus tard, elle reçut sa réponse annonçant que dès sa réception, il avait pris des mesures et embauché quelqu'un pour rapatrier son fils. Désormais, il ne lui manquait plus qu'à l'annoncer à Quincy.

Le garçon allait un peu mieux, il commençait à retrouver l'appétit et à parler normalement, mais son visage dégageait toujours autant de tristesse et ses yeux semblaient toujours avoir perdu leur éclat. Elle commença à parler un peu avec lui et à lui demander comment il se sentait. Au bout d'un moment, elle lui demanda :

— Est-ce que ta mère t'a déjà parlé de ton père ?

— Elle m'a dit que je n'avais pas de père, répondit-il.

— Je ne sais pas pourquoi elle te disait ça, mais en tout cas, tu en as un et il s'inquiète pour toi, tu sais.

— Tu mens, tu mens comme tu m'avais menti en me disant que maman reviendrait.

— Oh mon chéri, je suis désolée pour ta maman, je n'y suis pour rien, mais je t'assure que tu as un père, et il m'a dit qu'il allait venir te chercher dans deux jours. Il s'appelle Will et il a l'air très gentil, dit la femme.

Quincy resta sans voix et se contenta d'aller s'enfermer dans sa pièce et d'ignorer ce qu'elle lui avait dit.

Deux jours plus tard, comme convenu, un homme frappa à la porte de la femme, elle avait préparé des affaires pour le voyage. Elle appela Quincy et lui présenta l'homme :

— Regarde, c'est cet homme qui va te prendre en charge pour t'amener chez ton père.

— Quoi ? Alors c'était vrai ? demanda Quincy, surpris.

Il sortit en silence de la maison vers l'homme sans même se retourner. Ils commencèrent à partir quand soudain, le garçon se retourna et accourut dans les bras de la femme, il se mit à pleurer :

— Mais attends, mais si je pars, ça veut dire que je ne te reverrai plus jamais ?

— Oh mon petit, peut-être qu'on se reverra ! Toi aussi, tu vas me manquer ! dit-elle en pleurant à son tour.

— Mais qui va m'aider quand j'arriverai pas à me contrôler ? Je n'arrive pas à me comprendre ! Et toi, j'ai eu l'impression que tu étais la seule ! J'ai besoin de ton aide ! Les autres enfants, eux, ils sont pas comme moi, eux, ils savent ce qu'ils ressentent, mais moi, je suis perdu ! Personne ne pourra me comprendre comme maman ou toi où j'irai ! s'affola Quincy.

— Mon chéri, tu es encore bien jeune, tu auras tout le temps pour te comprendre et...

—... Oui, mais j'aimerais tellement ne pas être Lunatic. Pourquoi je suis autant en décalage avec les autres ?! cria-t-il.

La femme s'agenouilla pour être à son niveau et lui prit ses petites mains toutes chaudes.

— Calme-toi, écoute bien ce que je vais te dire. Apprendre à piloter un bateau de chasse ce n'est pas la même chose que d'apprendre à pédaler sur un vélo ! C'est pour ça que tu n'y arrives pas, tu perds facilement le contrôle, mais c'est parce que tu es un bateau de chasse ! Tu comprends ? Un jour, tu sauras le piloter, un jour, tu pourras développer tout ton potentiel ! Crois en toi, dit-elle tendrement avant de se relever.

Quincy la regarda dubitatif. Il sécha ses larmes et se contenta de suivre l'homme. Il l'amena jusqu'à une embarcation pour un voyage de deux jours. À son arrivée, en remettant les pieds sur la terre ferme, un homme se présenta à lui en souriant :

— Bonjour, j'espère que tu as fait bon voyage. Moi, c'est Will, ton père.

The LunacyWhere stories live. Discover now