4 - Rencontrer son père

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— Vous vous permettez de m'enlever de chez moi sous prétexte que vous êtes mon père. Où étiez-vous dans ce cas ? Et d'abord, qu'est-ce qui me prouve que vous êtes bien mon père ?!

— Ha ha, tu as vraiment de la répartie pour ton jeune âge ! Difficile de ne pas dire que tu me fais penser à ta mère ! dit Will en se grattant le derrière de la tête d'un doigt.

Il s'approcha de son fils, se baissa à son niveau et posa affectueusement sa main sur sa tête, mais Quincy resta de marbre. Will demanda à ses agents de conduire son fils chez lui. La chambre dans laquelle on l'installa était simple ; il y avait un sommier en bois, le matelas tenait en équilibre contre un mur, il y avait un petit bureau plein de poussière, mais surtout, en entrant, on voyait directement une très grande bibliothèque, si grande qu'on aurait même pas pu dire si le mur de derrière était autant bleu vif que les trois autres. Il y avait aussi deux imposantes fenêtres arrondies, qui, de l'extérieur, donnaient l'impression que la pièce avait des yeux et que ceux-ci étaient reflets de son âme vide.

La demeure, elle, était simple et baignée de silence, elle semblait paisible, mais il flottait pourtant dans l'air un parfum d'amertume. Le père de Quincy était particulièrement jeune, au moment où il rencontra son fils pour la première fois, il avait 27 ans. Il avait belle allure, il était grand, ses cheveux blonds étaient légèrement longs et dégradés et ses yeux marrons étaient rayonnants. Bien que personne ne puisse nier son charme, ce que l'on retenait surtout de lui était sa très grande intelligence. À ses 11 ans, le jeune homme était déjà considéré comme un enfant prodige. Il avait en effet contribué à faire sortir l'humanité de sa période obscure en réexpliquant des phénomènes complexes longtemps occultés puis oubliés. Will Miles avait également joué un rôle important dans l'évolution des mentalités envers les Lunatics et fut le premier à poser une théorie scientifique sur La Nuit des quinze mille Lunes et à étudier le fonctionnement des catalyseurs. Cependant, tout cela, Quincy ne le savait pas encore.

Ce soir-là, père et fils mangèrent en tête à tête. Quincy ne touchait pas à son assiette.

— Tu n'as pas faim ? Demanda Will.

— Non.

— Bien... Est-ce que ta chambre est à ton goût ?

— Elle est vide, donc je sais pas quoi dire.

— Et qu'est-ce qui te ferait plaisir ?

— Rien.

— Ça alors, pour le coup on peut pas dire que tu ressembles à ta mère ! S'exclama Will en essayant de détendre l'atmosphère.

— Comment ça ?

— Ta mère me demandait toujours plein de choses, elle n'était jamais satisfaite de ce que je lui offrais ! Dit-il embarrassé.

Quincy regarda pour la première fois son père dans les yeux.

— Comment se fait-il que je sois Lunatic si vous ne l'êtes pas ? Pourquoi je ne vous ressemble pas ? Dit-il d'un air agacé.

— Tu vas me tutoyer d'abord, je suis ton père. Et tu sais pourquoi c'est évident ? Tu es un garçon très intelligent. Et comme tu as la capacité de comprendre, je vais t'expliquer une notion pour répondre à ta question. Les gènes des Lunatics se comportent comme des gènes dominants invisibles. En gros, ça veut dire que plus on avance dans le temps, plus les gènes des Lunatics se répandent au sein de la population et sans que personne ne s'en rende compte ! Il arrive quelques fois, comme dans ton cas, qu'un enfant naisse avec les mêmes caractéristiques physiques que les tous premiers Lunatics, à condition que ses parents soient porteurs du gène et que l'un d'eux soit porteur visible, comme c'était le cas de ta mère.

— Dans ce cas, j'ai vraiment pas eu de chance, dit Quincy.

— Au contraire, les enfants nés comme toi avec le teint et les cheveux blancs et les yeux turquoises ont un privilège énorme comparé aux autres. Eux, ils peuvent éveiller leur pouvoir. Ta mère t'en a déjà parlé, non ?

— Oui, mais moi je n'en ai pas.

— Hmm, je vois. Quand tu t'ennuieras, je t'invite à fouiller dans les livres à disposition dans ta chambre. Je pense que certains pourraient t'intéresser.

Will se leva de table et se retira dans sa chambre. Il ne le montrait pas, mais il était très ému de pouvoir parler avec son fils. Néanmoins, il était malheureux de voir autant de mélancolie dans son regard et essayait tant bien que mal de lui redonner le sourire.

Quincy se leva à son tour de table, il alla s'installer sur le bord d'une fenêtre de sa chambre aux couleurs froides. Depuis celle-ci, on pouvait distinctement voir les autres maisons, mais surtout le ciel et les étoiles, ce même ciel qu'il aimait tant regarder autrefois avec sa mère. Il se prit à se demander où elle pouvait bien être, si elle était encore en vie, si elle partageait le même ciel nocturne qu'il contemplait, et surtout, s'il occupait ses pensées. Il repensa aussi à cette femme qui l'avait aidé, il pensa à ces enfants qui l'avaient persécuté, à ses voisins qui s'étaient moqués de lui. Les larmes lui montèrent aux yeux, mais il luttait contre elles par peur de sombrer, et du sang coulait de sa bouche tant il serrait les dents pour se retenir de crier. Il passa sa première nuit sans savoir s'il s'était endormi de sommeil après une journée éreintante ou s'il avait disjoncté à cause de ses folies intérieures intermittentes.

Au petit matin, une toute autre atmosphère s'était installée, un rayon de soleil resplendissait tout le salon. En se levant, le garçon s'en délecta comme s'il dégustait un coulis de mandarine encore tiède. Il s'étira et s'aperçut que son petit-déjeuner avait soigneusement été préparé, il y avait un petit bol de lait, un verre de jus et deux petites brioches fraîches. En s'asseyant, il vit un petit mot posé sur la table.

"Quin,

Rends-toi à l'étage, troisième porte à gauche

quand tu auras fini ton petit-déj

Ps : Mange !"

Il avala donc ce qu'on avait préparé pour lui et se rendit à l'étage au-dessus. La troisième porte donnait sur un grand espace. En rentrant, il vit son père absorbé dans son travail, il manipulait avec grande précaution une éprouvette sur son bureau. Cet aspect sérieux était particulièrement frappant dans cette pièce où les choses étaient rangées rigoureusement. Il y avait un bureau pour la rédaction et un autre avec le nécessaire pour expérimenter toutes sortes de choses. En se rendant compte que son fils était arrivé, il posa ce qu'il avait dans les mains et l'invita à s'asseoir. Will ouvrit une vieille armoire grinçante de laquelle il sortit un ancien livre d'école tout poisseux.

— Tiens, aujourd'hui tu vas lire ce livre. Je fais exprès de commencer doucement par de l'histoire pour que tu t'habitues à ce nouveau rythme de vie, expliqua Will.

— Je dois lire tout ça aujourd'hui ? Demanda Quincy inquiet.

— Oui, ne t'en fais pas, ce livre est un condensé de toute l'histoire de l'Antiquité, du Moyen-Âge, des Temps Modernes, de l'Époque contemporaine, et enfin du Retro-Âge.

Son père mit au point pour lui un programme chargé. Quincy n'avait ainsi jamais vraiment le temps pour s'amuser ni pour penser à son ancienne vie, mais il finit par y prendre goût. Le garçon n'avait également pas droit de sortir à l'extérieur, et la seule visite qu'il recevait était celle de sa cousine germaine Inaya. C'était une petite fille gentille et pleine de vie, et qui, en dépit d'un manque d'esprit, avait le mérite de très bien tenir compagnie à son grand cousin et de supporter ses sautes d'humeur. Malgré cela, il demandait souvent à son père pourquoi il n'avait pas le droit de sortir, mais Will faisait tout à chaque fois pour esquiver ses questions.

Un jour, vers ses 12 ans, Quincy, qui en avait marre de ne pas avoir les réponses à ses questions, décida de fuguer. Il embarqua Inaya avec lui. Dans la nuit, il sortit discrètement et se rendit avec elle à un endroit qui l'avait toujours intrigué ; un très grand bâtiment sans fenêtre qu'il pouvait voir depuis sa chambre.

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