0: Prologue

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« Maman, j'ai un peu trop chaud. » À côté d'elle, le garçonnet de cinq ans essaie de se débarrasser de sa doudoune malgré la ceinture de sécurité. Effectivement, le conducteur a mis le chauffage au maximum, mais elle n'est pas vraiment en position de se plaindre. Elle détend légèrement la ceinture de sa main droite. Son fils, dont la chevelure oscille dans l'obscurité entre bleu-gyrophare et blond foncé, réussit à ôter son manteau. Elle le plie soigneusement et le pose sur ses genoux. Elle se retourne et s'adresse aux deux enfants assis sur la banquette arrière : « Découvrez-vous également. Sinon, vous attraperez froid quand on nous sortira de la voiture. »

Le garçon de 7 ans, le visage tout aussi illuminé par des lueurs de gyrophares, s'exécute tout en corrigeant sa mère : « Ce n'est pas une voiture, c'est un fourgon de police ».

Zwij, alsjeblieft. Met de zwaailichten lijk je net een smurf. ».

C'est son ainée de deux ans, assise à côté de lui, qui a parlé. Elle s'est exprimée en néerlandais plutôt qu'en russe. Après avoir retiré sa doudoune, elle se replace bien droite sur son siège, la chevelure claire teintée d'un bleu clignotant.

« Avec ces gyrophares de police, on ressemble de toute façon tous à des schtroumpfs », rétorque la mère en russe. Le benjamin et le cadet éclatent de rire. La mère se joint à eux. Autant en profiter tant qu'on peut. L'avenir s'annonce plutôt sombre.

Où sont-ils ? Dans un van de police à vive allure sur l'autoroute, quelque part dans l'oblast de Leningrad. Devant eux et derrière eux, deux autres véhicules de police. Elle a perdu ses lentilles au moment de leur interception et n'arrive pas à lire les panneaux dans l'obscurité. Il est 20h40. La nuit est tombée depuis bien longtemps en ce dernier dimanche de février. La voiture de devant clignote à droite. Ils quittent l'autoroute pour se réinsérer immédiatement sur une nouvelle voie rapide. À l'extérieur, les champs de neige disparaissent d'un coup. Il ne reste plus que des ténèbres de part et d'autre de l'autoroute. Elle sait où ils sont : sur la digue autoroutière menant à l'île de Kotline et fermant la baie de Saint-Pétersbourg. Elle tente : « Vous nous emmenez à Cronstadt ? »

Le commissaire assis à côté du conducteur se retourne : « Affirmatif. Ordre du boss. De votre père. On vous dépose à la base navale de Cronstadt où vous serez pris en charge. »

Derrière elle, la jeune fille commente en néerlandais : « Tout le monde appelle grand-père le boss, le boss. Dans les jeux vidéos, le boss c'est le méchant. » Ses deux frères éclatent de rire.

Le commissaire se retourne à nouveau et explique en russe: « Les enfants, j'ai compris que le boss n'aime pas beaucoup quand vous parlez néerlandais. Moi, je m'en fiche, je suis un simple flic. Mais là où je vous déposerai, il y aura des gars du FSB, alors essayer de ne parler que russe pour n'indisposer personne. Ordre du boss.»

Au mot « boss », d'origine néerlandaise d'ailleurs, les trois enfants éclatent à nouveau de rire. La mère, elle, est terrifiée. Il ne faut surtout pas que son père découvre la vérité. Il faut instiller une vérité alternative. Elle se retourne pour s'adresser à ses enfants et leur demande en néerlandais : « Vous êtes déçus de ne pas pouvoir aller voir papy et mamie au Pays-Pays ? »

Le plus petit répond : « Bah oui, déjà qu'on ne les a pas vus à Noël. Je préfère papy à grand-père. »

Arrivés à l'île de Kotline, les trois véhicules de police quittent l'autoroute et bifurquent vers la ville de Cronstadt. Ils dépassent quelques bâtiments de types soviétiques avant de s'engager dans un dédale de vieux bâtiments militaires à brique rouge.

« On arrive à la base navale de Cronstadt. Cette ville a joué un rôle important dans l'histoire de la Russie, explique la mère à ses enfants.

— On pourra aller sur un bateau militaire ? demande le plus petit.

L'espion à la fille désenfantéeWhere stories live. Discover now