7: Uppsala

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Il n'aurait pas dû courir avec des chaussures de ville sur du verglas. Lundi matin, en sortant de l'hôtel, George Chevalier a encore mal au genou droit. Il s'est quand même pris une bonne gamelle ! Côté positif, il a eu un vendredi après-midi et un week-end productif. Il a pu organiser un petit tour de visites de courtoisies auprès des services de renseignement des pays bordant la Baltique. Et puis, capitalisant sur les trouvailles d'Hubert et Samir dans les portables et l'ordinateur de Per Gunnar, il a ébauché deux projets d'opérations qu'il a envoyés à Grand Manitou. Si Jordi a raison sur la prévalence croissante de pervers narcissiques plus qu'on avance vers les sommets des hiérarchies, alors il y a de gros filon à exploiter. Ils en discuteront mercredi, après le petit séminaire avec la psychiatre de la boîte. Opérations Jean Valjean et Thénardier.

Jean Valjean, c'est la protection de l'enfance quitte à défier la loi. Cinq ans de bagne pour avoir tenté de nourrir ses neveux affamés – qu'il ne reverra d'ailleurs jamais. Extraction de Cosette de chez un couple de pervers. Vie cachée avec Cosette sous fausse identité. Jean Valjean, c'est la prévalence de l'autorité morale sur la loi. Surtout quand cette loi profane crée un enfer artificiel terrestre dont les premières victimes sont les femmes et les enfants.

Thénardier, c'est l'extorsion, la perversion humaine dans toute sa splendeur.

Les services secrets ? C'est un peu le bon dieu et le diable. Opérations Jean Valjean et Thénardier, donc.

Ce lundi 20 décembre matin, il neige à Stockholm. Il fait moins sept degrés Celsius et George a décidé de faire son petit tour de la Baltique avec ses chaussures de montagne. Tant pis pour le style. Le pratique d'abord. Il est après tout non seulement géologue, mais aussi ingénieur qualité. Safety first. Il a cependant mis sa goretex dans la valise et porte sa veste de cuir rembourrée et son bonnet de laine.

La vielle Peugeot blanche de service de l'ambassade est garée de devant l'Elite Palace Hotel. C'est une voiture sans les plaques bleues diplomatiques. L'Ambassade de France l'utilise pour les courses discrètes. Derrière, dans l'aube naissante de Sankt Erikssgatan, c'est un chaos sans nom. On pourrait penser que les Suédois savent conduire sur la neige. Il n'en est rien. En tout cas, pas à Stockholm.

George se dirige vers le coffre de la Peugeot, l'ouvre et y met sa grosse valise Air France. Il referme le coffre, et gardant à la main son sac à dos noir Northface, et la sacoche en cuir, il monte sur le siège passager. Au volant, le chauffeur de l'ambassade.

« Votre valise partira avec la valise diplomatique de ce soir. Je vous dépose au MUST ?

- Base militaire d'Ärna, au nord d'Uppsala. Si tu arrives à nous y amener dans tout ce chaos ».

Le MUST, c'est le militära underrättelse- och säkerhetstjänst, les services de renseignements suédois. Réalisant que George le tutoie, le chauffeur décide d'enchainer :

« Ne t'inquiète pas, on a de bons pneus Michelin à lamelle. Pas comme tous ces touristes qui ont des pneus Nokian. Alors, c'est quoi le deal ? Un franco-suédois djihadiste de retour de Syrie ? »

George répond de façon mystérieuse : « P'têt ben qu'oui, p'têt ben qu'non »

Après une bonne demi-heure, le chauffeur a dépassé le goulot d'étranglement de Järva Krog et trace vers le nord sur l'E4, en direction d'Uppsala. La Peugeot fait des embardées sur la chaussée glissante, mais les pneus Michelin à lamelles, merveilles de la technologie française, lui permettent de tenir la route.

Ingénieur qualité, George Chevalier aurait normalement fait remarquer au chauffeur que 140 km/h n'est pas une vitesse adaptée sur la neige, mais le cœur n'y est pas, et il prie simplement que les airbags se déploient correctement en cas d'accident.

L'espion à la fille désenfantéeWhere stories live. Discover now