39 : Vyborg

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Le train a maintenant dépassé Kanneliyarvi. Il ne reste plus qu'un arrêt à Vyborg, aussi connu sous le nom de Viipuri, puis on sera à la frontière finlandaise. Beaucoup de passagers ont l'air anxieux. En Russie, impossible de prévoir les humeurs de la police.

On est dimanche soir. Cela devrait normalement garantir des contrôles minimaux. Mais les passagers de ce train sont pour grande partie ce que l'État russe aime appeler des traitres à la nation. Donc cela pourrait impliquer davantage de contrôles.

Natacha et les enfants ont de faux papiers, portent des masques covid, et ont l'air franchement inoffensifs comparé à cette journaliste russo-finlandaise assise trois sièges plus loin.

Cela devrait bien se passer. Cela n'empêche. George prend un comprimé d'Oméprazole.

Il est 18h16 et le crépuscule est bien entamé quand le train entre en gare de Vyborg. George se penche au-dessus de Natacha pour regarder par la fenêtre.

Une douzaine de policiers sont sur le quai.

Saloperie.

En se rasseyant sur son siège, George glisse à l'oreille de Natacha : « Polizei. »

George s'excuse auprès de Youri avec les mains et lui signifie qu'il a besoin du téléphone. Ni Natacha, ni les enfants ne doivent savoir qu'il connait le russe. Aux yeux de Natacha, il est un agent belge qui parle allemand. Pour les enfants, il est juste un compagnon de voyage quelconque.

George regarde vers la porte du wagon : Alessia est alerte. C'est déjà ça.

Quatre policiers font irruption à l'autre bout de la voiture. Le premier crie : « Proverka lichnosti! ID control! ». Contrôle d'identité!

En Europe, cela n'arrive qu'aux Noirs et aux Arabes, et George en a malheureusement l'habitude. En Russie, cela arrive aussi aux blancs, et même aux blonds.

Il glisse à Natacha en allemand: « Die sind die Polizei. Benutzt eure russischen Pässe. [trad : C'est la police, utiliser vos passeports russes]» et lui explique : les policiers cherchent soient des occidentaux à arrêter pour extorquer les puissances occidentales, soit des Russes opposants politiques. Comme elle n'a pas le même nom de famille que son père, en principe très peu de Russes savent qu'elle est la fille du président. De plus, elle ne peut être en aucun cas sur la liste des Russes recherchés. Pas avant demain matin. Et comme les policiers ne demanderont pas les billets, ils ne verront pas que les places sont réservées au nom de citoyens belges.

Un policier est maintenant à leur niveau : George montre son passeport finlandais. Le policier ricane en lisant le nom de Togolainen et lui rend son passeport. Natacha tend son passeport et les passeports des enfants. Le policier les regarde rapidement puis les lui rend.

Les quatre policiers sont maintenant à leur niveau.

Alessia est en train de leur montrer son vrai faux-passeport italien et de les complimenter dans la langue de Machiavel. Ils ont l'air ravis.

C'est bon, on a échappé au dernier sérieux contrôle. La douane sera une formalité.

George inspire tout doucement et se laisse imaginer les plages chaudes de Saint-Martin.

« Komissar, Yuriy yest' vnuk Prezidenta. »

Commissaire, Youri, là, est le petit-fils du Président.

C'est le petit Aleksander qui a parlé.

Saloperie.

On dit que la vérité sort toujours de la bouche d'un enfant. C'est sûrement vrai. En pratique, la parole d'un enfant est plutôt décrédibilisée. Quand Lancelot dit qu'il a été violenté et violé par son père, ni les services sociaux ni les juges ne le croient.

L'espion à la fille désenfantéeWhere stories live. Discover now