3 : Paris

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Il est 19 heures passées quand la Dacia atteint la porte d'Ivry, puis la rue Nationale, dans le 13ème arrondissement de Paris. Peu avant la station de métro Olympiades, George bifurque à gauche dans le parking sous-terrain, sous la grande dalle des Olympiades, ainsi nommée, car les tours d'habitation la constituant portent de noms de villes ayant jadis accueilli les Jeux olympiques. Arrivé devant sa place de parking, il fait descendre les passagers et vide le coffre avant de se garer en marche arrière. Cinq minutes plus tard, les voilà dans l'appartement de George, un trois-pièce au 27ème étage de la Tour Helsinki. « Welcome to the quartier chinois », dit-il à Jordi.

Celui-ci rétorque, en français avec son accent Catalan : « Quartier chinois ? C'est pas un peu raciste ? Les boat-people venaient pourtant du Vietnam, Cambodge et Laos. »

Marie-Claire : « Oui, mais la grande majorité des réfugiés arrivés en France était des commerçants chinois établis en Indochine française. Donc des vrais Chinois. D'ailleurs, beaucoup ont transité par HongKong avant de partir. »

George enchaine : « Et la cuisine chinoise dans le coin n'est pas trop mal. Je propose d'ailleurs aller chercher du canard laqué et du riz cantonais pour diner. Au Sinorama. Ça vous va ?»

Marie-Claire a le regard absorbé par la fenêtre. Au loin, la Tour Eiffel qui vient de s'illuminer dans le crépuscule naissant. « Regardez le troisième étage et l'antenne de la Tour Eiffel. On dirait un doigt d'honneur qui nous est directement adressé. » Puis elle cherche des yeux l'angle de la rue de Tolbiac et de l'Avenue de Choisy, derrière lequel se trouve le Sinorama.  « Regarde Jordi. En bas, c'est le Lycée Claude Monet. C'est là que je suis allée au collège, et fait ma seconde. »

Des souvenirs ressurgissent. Comment George, Olga et Marie-Claire s'étaient installés dans le 13ème en arrivant de Russie. À l'époque, leurs situations professionnelles étaient précaires. Il fallut plusieurs années à Olga pour convertir son diplôme de pédiatre russe en diplôme français. George avait déniché un travail à Total en tant que géologue. Ce travail ne lui plaisait pas, et il avait réussi à se reconvertir en ingénieur qualité. Puis il était passé chez Dassault, toujours en contrôle qualité, travaillant notamment sur le Rafale. C'est à ce moment qu'ils avaient pu acheter l'appartement de la Tour Helsinki.  Au début des années 2000, il obtint un poste à la direction générale de l'armement. Envoyé en mission en ambassade en Suède en 2005, il avait été discrètement recruté comme honorable correspondant de la DGSE pour la seconde fois. La Suède avait été le reboot de sa carrière d'espion. L'objectif à l'époque était d'obtenir des renseignements sur la stratégie commerciale du chasseur suédois Gripen, en compétition avec le Rafale, notamment au Brésil. Il avait été finalement recruté comme permanent quatre ans plus tard. Mais entre-temps, il y avait également eu Sven, puis Christer, puis Édouard. Le divorce avait été inévitable.

« Bon, tu vas chercher le riz et le canard laqué, papa ? J'ai faim. Jordi, accompagne-le. »

Seul avec Jordi dans l'ascenseur, George tente : « Marie-Claire n'a rien dit à propos de Lancelot ?

—    Je crois qu'il faut éviter le sujet ce soir. Elle est très triste, et très énervée après sa mère et Édouard.

—    Pourquoi ?

—    Ils ont refusé de faire de l'obstruction. Édouard a même menacé d'appeler la police. En pratique, si une décision de retour d'enfant ne peut être exécutée, à terme on obtient la garde. Ici, Édouard et Olga ont capitulé sans faire de résistance, et maintenant Lancelot est dans les mains d'un père incestueux.

—     Et ça, tu en es sûr ?

—    100%. À Stockholm, en février dernier, quand Lancelot est rentré d'une visite de chez le père où son pote Magnus Silberblick était présent, il sentait le sperme, il avait la bouche toute blanche, et il voulait vomir. Mais cet idiot d'avocat a interdit à Marie-Claire d'emmener Lancelot à l'hôpital, car elle était sévèrement critiquée pour l'avoir emmené deux fois auparavant à l'hôpital.

L'espion à la fille désenfantéeWhere stories live. Discover now