L'espion à la fille désenfantée

5 : Odenplan

Ce lundi midi, George déjeune dans un petit Sushi, sa valise à côté de sa table. Le local est mal chauffé et il a conservé goretex et écharpe, mais retiré son bonnet. Il attache ses écouteurs au téléphone crypté, laissé à l'abri des regards, pianote quelques touches et lance un appel. « Allo, Hubert, c'est Cédric. »

À l'autre bout du fil, une voix répond « Salut, Cédric, j'ai compris que tu as reçu le colis.»

« Affirmatif. Je suis dans un restaurant, mais il n'y a personne. J'écoute tes instructions ».

Après avoir reçu son briefing, George explique : « Les Suédois sont un peuple qui se couche tôt, surtout le lundi soir. Je pensais attaquer ce soir à 21h30, ça te va ? »

« Pas de problème. Je serai avec Samir. On attendra ton signal ».

Dans l'après-midi, George Chevalier s'enregistre sous le nom de Cédric Jean Guillou au Elite Palace Hotel, sur Sankt Eriksgatan. Il est maintenant en mission commandée, et hors de question de continuer à se geler dans un appartement mal chauffé. Il tente une sieste, mais n'arrive pas à se détendre. Un comprimé d'Oméprazole. Pour se changer les idées, il décide de regarder un film sur Netflix.

Pour qui souhaite voir des sauvages blonds aux yeux bleus se faire massacrer par des êtres civilisés, il n'existe pas meilleur film que Gladiator, de Ridley Scott et avec Russell Crowe dans le rôle principal. La scène d'introduction dévoilant des barbares germains blonds parlant un mélange de suédois et de danois se faire trucider par les légions romaines lui remonte un peu le moral. Roma Victor !

Dans le meilleur des mondes, l'opération Périscope n'aurait pas été nécessaire. Au début du mois de décembre, Hubert avait essayé de prendre le contrôle du smartphone de Per Gunnar. Des SMS avaient été envoyés avec liens internet pour le paiement d'une fausse amende pour excès de vitesse à Paris à bord de la Citroën qu'il avait louée en septembre pour chercher Lancelot, mais Per Gunnar n'avait cliqué sur aucun lien. Per Gunnar avait une double identification sur sa boîte email, et la DGSE, à la différence de ses homologues américains, ne contrôle pas de portes dérobées vers l'ensemble des applications web américaines. Hubert avait donc besoin d'une présence physique à proximité de l'appartement de Per Gunnar pour parvenir à ses fins.

À 20h, George Chevalier commence à se préparer. Du colis, et après avoir mis des gants de chirurgiens, il en sort un man-purse, un de ces sacs à main en cuir pour homme. Il le dépose sur une toile en plastique étalée sur le lit non utilisé. D'un carton, il sort deux petits boîtiers blancs de la taille d'une boîte d'allumettes, chacun avec un ruban adhésif. Un est une batterie, l'autre un boîtier équipé d'une carte SIM 5G et capable de scanner les réseaux wifi environnants (« Quand on pense à tous ces écolos qui critiquent la 5G ! La 5G, ça facilite quand même grandement la tâche des espions !»). Il les connecte avec un câble et place les deux boîtiers dans un sachet en plastique après avoir vérifié la batterie. Il met le sachet dans l'une des deux grandes poches du man-purse. D'un autre petit carton présent dans le colis, il sort un disque épais blanc avec un ruban adhésif. Il s'agit d'une caméra 360 degrés collable au plafond. Il la place dans un sachet en plastique, qu'il place dans la même poche que les deux boîtiers. Dans le colis, il y a également un bâton télescopique et un stéthoscope, qu'il place tous les deux dans la petite poche de devant, ainsi qu'une tablette résistante aux chocs avec antenne, qu'il place dans la seconde grande poche de la sacoche.

Il retire les gants et les mets dans un sac plastique dans sa valise et prépare ses vêtements pour l'opération : col roulé chic, jeans (il prend quand même le soin de mettre des collants en dessous), chaussures de villes : les Suédois de Vasastan aiment avoir froid aux pieds. Il prend sa veste de cuir rembourrée, et un bonnet en laine acheté la veille sur le marché de Noël.