12 : La psy de la boîte

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Le séminaire a lieu dans une salle de réunion anonyme, avec les tables arrangées en U, les vitres tapissées de persiennes déployées, un tableau blanc éclairé par un projecteur, et dont les feutres bleu, noir et rouge donnent des signes d'essoufflement, comme l'intervenante s'en est rendu compte à ses dépens.

Assis aux tables en face du tableau, Grand Manitou, George, ainsi que les n+1 et n+2 de ce dernier. Sylvain, chef directe de George Chevalier, est responsable de la section Europe auprès du service de renseignement géopolitique. Melchior est le chef du renseignement géopolitique. Tous les deux blancs, l'un brun, l'autre blond.

On est entre hommes. Enfin presque. L'intervenante, la Dr. Jeanne-Luce Piquard, psychiatre de la boîte, est une femme. Tailleurs vert foncé, collier de perles, lunettes rondes à cadre bleu clair, cheveux bruns frisés, elle amorce son séminaire :

« Faux syndrome d'aliénation parentale et pervers narcissiques : Manipulation généralisée des systèmes juridiques occidentaux et incidences sur la sécurité intérieure comme extérieure.»

« Manipulation généralisée ? C'est un titre choc », commente Grand Manitou. « C'est aussi grave que ça ? »

« J'ai peur que la situation ne soit guère brillante », rétorque la psychiatre. « Mais vous pourrez en juger à la fin de mon exposé ».

Grand Manitou regarde ses collègues : « Inutile de le préciser, mais pas un mot sur cet exposé, et surtout pas à la Direction Générale. On est toujours en phase d'étude. »

Melchior grommèle : « Ca c'est sûr. Le Che aime se la raconter dans les diners mondains. Si on lui souffle quoique ce soit, on risque de le retrouver dans wikipedia. »

« C'est qui le Che ? » demande la Dr Piquard.

« Le Directeur Général », répond Syvain. « Son prénom de service est Ernest. Ernest, Ernesto. Ernesto, le Che. Et puis, Che, chef, c'est assez proche. »

La psychiatre hausse les épaules « Le Che, Grand Manitou... On aime les sobriquets cocasses à la boîte. Bon je commence mon exposé. »

Et la psychiatre d'expliquer, en enchainant les diapositives. Le syndrome d'aliénation parentale (ou SAP, voire PAS en anglais) a été avancé en 1985 par le l'ex-pédopsychiatre Richard Gardner - elle dit ex, car celui-ci fut finalement radié de l'association des psychiatres américains. Richard Gardner était un énergumène soutenant que, dans l'histoire de l'humanité, l'inceste est la norme - regardez les Égyptiens - et son rejet l'exception. Il a un penchant sympathique pour la cause pédophile. Selon lui, il ne faut pas incarcérer les pédophiles, car cela générait la guérison de l'agresseur, tout en traumatisant ses victimes. Je vous le rappelle, dans les années 1960 et 1970, il y a eu un mouvement, en Europe comme aux États-Unis, pour tenter de légaliser la pédophilie. À ce sujet, nommons à Berlin-Ouest le projet Kentler qui a systématiquement placé de 1960 à 2003 des enfants dans des familles d'accueil pédophiles, à titre « expérimental ». Revenons à Richard Gardner. Ce psychiatre se fait son beurre en témoignant en tant qu'expert dans les conflits de garde d'enfant, quand le père est accusé d'être violent par la mère, et que l'enfant prétend lui-même être violenté.

Sans s'appuyer sur la moindre recherche, il affirme que dans 90% des litiges de garde, un des parents essaie d'aliéner son enfant vis-à-vis de l'autre parent. Le parent aliénant est dans la grande majorité des cas une mère possessive qui veut priver le père de contact avec son enfant. Selon lui, les symptômes physiques que présente alors l'enfant (rejet du père, régression comportementale, syndrome post-stress traumatique, dissociation, constipation, pipi au lit) sont en fait la preuve clinique que l'enfant est manipulée par la mère qui cherche à l'éloigner du père. C'est très pervers, car les symptômes cités sont généralement l'indice que l'enfant est violenté, voire abusé sexuellement par le père. Cela permet de présenter l'agresseur en victime. Classique DARVO. DARVO, ça veut dire Deny, Accuse and Reverse Victim and Offender. Vous parlez tous anglais, je ne traduis pas.

L'espion à la fille désenfantéeWhere stories live. Discover now