L'espion à la fille désenfantée

15: Hollande

En cette matinée du 24 décembre 2021, George est bien au chaud à bord du Thalys filant en direction de Bruxelles à travers le brouillard enrobant le nord de la France.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles George a décidé de prendre le train. Tout d'abord, c'est le chef de l'opération, et l'un des privilèges d'un chef et de pouvoir faire ce qu'il veut. Main qui nourrit, main qui décide. Grâce à sa source française à Malte recrutée en Suède, il avait les fonds pour tenter une série d'opérations culotées. Autant en profiter.

Ensuite, comme on dit en anglais : he is too old for this shit [trad: Il est trop vieux pur cette merde]. Pourquoi se lever à 5h45, comme Hubert, voire 4h00, pour Alessia, quand lui peut se lever à 7h00 ?

Ne mentionnons pas la supériorité du confort du Thalys, sur celle de la voiture.

Mais la principale raison pour laquelle George prend le train, c'est de pouvoir changer à Bruxelles. En effet, le Thalys met une heure trente pour rallier Bruxelles, et de là il lui faut 3h30 pour rallier Arnhem, ce qui lui permettra de ne pas arriver trop tôt au Bastion Hotel Arnhem, où il compte « réveillonner ».

Et Bruxelles, c'est quoi ? Des frites croustillantes préparées dans de la graisse de bœuf et servies en cornet avec de la mayonnaise. Alors probablement que nos concitoyens du Nord-Pas-de-Calais et nos voisins belges restent de marbre si on leur dit qu'un agent français planifie sa mission en fonction de l'opportunité de déguster des frites belges. Mais tout citoyen ou citoyenne français(e) (voire belge) ayant résidé longtemps dans un des États de la « banlieue nord de l'Europe », comme dirait Grand Manitou, compatira avec notre agent George Chevalier.

Le Thalys est aussi l'occasion pour lui de rattraper son retard dans la lecture des Canard Enchainé. Après plus de trois semaines passées à Stockholm, il a quatre numéros à lire. Son père disait toujours : « La guerre, c'est quand on ne peut plus lire le Canard Enchainé ». Il n'avait pas pu le lire en Indochine, ni ensuite en prison quand il avait refusé de servir en Algérie. Donc les soi-disant 'opérations de police' en Indochine puis en Algérie menées par l'armée française étaient bien des guerres malgré la sémantique officielle. Le numéro du 22 décembre aborde Les ratés de la guerre française contre la cybercriminalité, que George lit avec intérêt. Sinon, beaucoup d'articles liés à la prochaine campagne présidentielle. George feuillette le numéro du 1er décembre 2021 : Il se déclare dans un clip démago, mégalo et anxiogène. Zemmour candidat de l'extrême doigt ! Un Zemmour vs deux amours. Pour George, manger du Zemmour au petit déjeuner est presque aussi savoureux qu'un croissant aux amandes. N'empêche qu'il ne peut éluder la question dans son for intérieur : Zemmour est-il également un pervers narcissique ? Il n'aura probablement jamais la réponse.

À la Gare de Bruxelles Midi, il mange un cornet de frites sur place, et en emporte un autre dans le train en direction d'Arnhem. Après tout, l'opération ne se déroule pas trop mal.

Bastien était arrivé la veille. Il avait garé sa BMW à côté de la galerie d'art. Pourquoi une BM ? Parce qu'en Hollande, une Renault ou une Peugeot seront davantage suspectées qu'une BM. Surtout à côté d'une galerie d'art. Dans sa voiture, une machine pour percer le mot de passe du réseau wifi. Bastien avait pris ses quartiers dans le Bed and Breakfast situé à deux blocs, et à 21h30, avait percé le réseau wifi et pris le contrôle du routeur ainsi que des caméras de surveillance de la galerie d'art. Malheureusement, pas du téléphone du propriétaire. Il était alors sorti de sa chambre en quête de nourriture, et s'était vite rendu compte que les cuisines des restaurants étaient fermées et qu'il devrait se contenter d'un Snickers pour diner. La vie d'agent peut être dure parfois, George le sait.

Le lendemain matin, Bastien, de moins mauvaise humeur après avoir pris son petit déjeuner, avait refait une tentative pour pénétrer le portable du propriétaire. En vain. Son email avec double identification était impénétrable. Tant pis, ça donnera du travail à Hubert. Depuis les caméras de surveillance, il avait vu que le portable du propriétaire était un iPhone 13, et que le code pour le déverrouiller était 170944. Il avait également obtenu deux autres informations pas forcément inutiles : la cible n'aime pas porter de masque anti-covid. Et elle avait eu une longue discussion avec un client ou ami au sujet de « pedojagers », même si Bastien ne savait pas vraiment de quoi il s'agissait, son néerlandais étant inexistant.