Chapitre 23

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Mon quotidien est devenu étouffant. Ma région de cœur s'est transformée en un berceau de rancœur et j'avais besoin plus que jamais de m'extirper de ça. C'est donc après une longue réflexion d'environ deux minutes et un coup de fil, que j'ai balancé des fringues à tout va dans un sac de sport et sauté dans le premier train en direction de Paris.

Je ne pensais pas un jour autant valoriser un départ pour la capitale, et pourtant. À côté de cette ville surpeuplée, une petite bourgade campagnarde abrite la maison de deux amies que je vois bien trop rarement, et leur mini-elles que je n'ai toujours pas rencontré. N'étant encore jamais allée dans leur nouvelle demeure et voulant plus que tout quitter le bordel ambiant de Passy et ses alentours, Noémie et Mathilde m'ont lancé une bouée de sauvetage. Je ne crois pas avoir jamais pris une aussi bonne décision de toute ma vie. Ce week-end a été une véritable bouffée de fraîcheur qui m'a fait beaucoup de bien.

Leur petit Jules est une tornade de bonne humeur qui a fait fondre mon cœur dès mon arrivée. Haut comme trois pommes, et marchant déjà – je me suis maudite de ne pas avoir fait le déplacement plus tôt – il m'a attrapé la main pour me faire visiter les alentours. Il cherchait surtout à s'entraîner sur son terrain de jeu, mais il a quand même réussi à me trimballer sur les trois étages et sur les deux hectares de champs qui entourent la résidence.

La maison, quant à elle, est splendide. Noémie est architecte tandis que Mathilde est menuisière. Autant dire qu'elles font la paire. À elles deux, elles ont transformé une vieille bâtisse qui était autrefois un manoir, en un foyer familial resplendissant.

Durant deux jours, nous avons actualisé nos histoires respectives, cuisiné pour cent, foulé la terre de nos nombreuses balades, et amusé le gamin jusqu'à nous épuiser – nous, pas la bête.

Durant deux jours, mon cœur était apaisé et mon esprit détendu. J'avais mis ma vie sur pause, mes problèmes entre parenthèses, pour ne me consacrer qu'à mes amies et nos retrouvailles. Je n'ai jamais autant apprécié mes jours de congés hebdomadaires. En repartant, je me suis jurée de venir les voir plus souvent, triste de quitter ce havre de paix et angoissée à l'idée de retrouver l'enfer que je m'étais partiellement créé.

***

La semaine s'est écoulée autour de moi comme si je la vivais de loin. Rares sont les fois dans ma vie où j'ai eu l'impression de porter un masque, mais cette semaine en a fait partie. Rares sont les moments d'incertitude qui m'engloutissent et font de mon existence un gigantesque point d'interrogation, mais cette semaine en a fait partie. Rares sont les évènements de ma vie d'adulte qui me mènent à douter de moi et de mes capacités, qui impactent ma confiance en moi et me font me sentir comme une moins que rien, mais cette semaine en a fait partie.

Quand j'ai rejoint Pauline dans le hall des urgences, une infirmière est même venue me demander si tout allait bien et à quelle échelle je plaçais ma douleur. Quelle douleur ? Celle d'avoir passé l'entièreté de ma vie à être rejetée par un père qui n'a jamais rempli son rôle ? Celle de m'être pris les éclats de mon ego en pleine gueule à cause d'une fille qui n'avait pourtant aucune importance pour moi ? Ou encore celle de n'avoir absolument rien ressenti quand le corps de mon grand-père est progressivement descendu sous terre ?

J'espère qu'il est descendu loin, très loin sous le niveau de la mer, jusqu'aux portes de l'enfer, jusqu'à se faire lécher par les flammes qui damneront son éternité.

– Ça te grille le cerveau de regarder Lucifer en boucle, en fait, se moque gentiment Pauline en m'écoutant lui faire mon débrief de la semaine.

– C'est ça ou finir toutes tes bouteilles de rhum pendant que tu es de garde, rétorqué-je avec un faux sourire figé sur mes lèvres.

– Lucifer, c'est bien !

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant