Chapitre 40

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Si j'étais dramaturge, je crois que je pourrais écrire une pièce en trois actes à propos de cette soirée. Je pourrais jouer sur les émotions exacerbées par l'alcool, et sur les réactions absolument inattendues qui en résultent. Mais dans les faits, j'assiste plutôt au premier acte depuis le strapontin du fond sans vraiment bien saisir les dialogues, pour complètement patauger pendant tout le reste de la pièce.

Quand j'arrive chez Pauline, Chloé est bien là, dans son accoutrement de soirée habituel. Maintenant que j'ai une idée de ce qui tourmente Chloé, j'ai du mal à concevoir qu'elle puisse continuer à passer son temps à arborer cette perruque hideuse et ces tenues en vinyle fluo. En fait, je trouve que cela ne correspond juste pas à la personnalité qu'elle a pu me faire entrevoir ces derniers temps. Et je sais que si elle aime s'habiller comme ça, ce n'est pas mon problème. Pourtant, je ne peux m'empêcher d'avoir cette inexplicable sensation que ça ne lui plaît pas réellement.

Au début, je tente de me comporter comme si de rien n'était, mais impossible. Du coup, en grande courageuse que je suis, je prends le parti de l'éviter pendant les trois premiers quarts d'heure. Je la surprends néanmoins plusieurs fois à m'observer du coin de l'œil sans non plus venir vers moi. S'il y a bien une chose que je remarque cependant, c'est la rapidité avec laquelle elle ingère tout ce qui ressemble de près ou de loin à de l'alcool. À peine finit-elle un verre qu'elle se ressert directement. C'est mauvais signe, et je sens mon cœur se serrer.

Toutefois, un jeu silencieux finit par s'instaurer entre nous, lancé par Chloé. De loin, a commencé à me sourire puis me faire des clins d'œil, formant un cercle de ses doigts me signifiant que tout va bien.

Signifiant qu'a priori, le jugement sera plutôt positif. C'est ce qu'elle semble vouloir croire en tout cas.

Et je décide de ne pas lui enlever ça.

J'oublie alors rapidement tout ce qui m'entoure pour me focaliser sur ses noisettes. Malgré sa tenue qui ne me plaît pas, sa perruque dont la teinte ne rend pas hommage à sa beauté, et son maquillage criard, je vois par-delà son masque. J'ai l'impression qu'une aura scintillante s'échappe d'elle et m'attire irrépressiblement.

Soit j'ai des hallucinations, soit je plane complètement.

C'est le son de la voix bourrue d'un homme au fond du salon qui me sort de ma transe. Une bière dans une main, son téléphone dans l'autre, il semble s'exciter sur un gars, et le ton monte à propos d'une blague de l'un sur la chevelure d'Inès, une vieille copine du lycée. Elle a fait l'erreur d'amener son collègue et le frère de celui-ci, de visite dans le coin. Je n'ai pas le temps de me redresser que Pauline les fout dehors sans tracas. En se retournant, elle lève les yeux au ciel puis s'approche de moi.

– Va la voir !

Elle me plaque ses lèvres sur la joue avant de filer comme une tornade. Je soupire et décide de me faire violence. Je me dirige donc vers la cuisine pour chercher quelque chose à boire et y retrouve Chloé qui semble s'y être réfugiée. Je lève mon verre dans une proposition silencieuse de la resservir et elle y répond avec un sourire. À l'intérieur de mon corps, mon cœur bat plus fort.

Elle s'approche pour me tendre son gobelet. Elle s'attarde une seconde de trop sur mes yeux avant de détourner les siens, sa bouche se retroussant légèrement.

On s'observe en sirotant notre boisson. Je n'ose rien dire de peur de briser l'instant. Je me sens bien avec elle à mes côtés, juste là, comme ça. Parler semble superflu. Au bout d'un moment, cependant, le silence devient pesant et je cherche quelque chose à lui dire.

– Alors, euh... Apparemment ça s'est bien passé ? demandé-je maladroitement.

Son sourire est rempli de lassitude.

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant