Bonus - Lettre

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Hello tout le monde !

Le bonus que je vous propose est la lettre que j'ai écrite au père de Charly. C'est une lettre que j'avais écris dans le cadre d'un concours quand j'en étais encore au milieu de mon roman. Je l'avais nommée "Lettre à Ghislain", mais je me suis rendu compte que c'est le grand-père que j'ai nommé Ghislain, et non le père. Ce n'est donc pas une lettre à Ghislain mais une lettre au père de Charly !

J'espère que ce petit bonus vous plaira !

A bientôt,

Victoria

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"Cher père de Charly,

Aujourd'hui, c'est à toi que ma plume s'adresse. Je t'ai pensé, créé, modelé à ma façon, selon mes propres lois, et pourtant je ne t'ai jamais parlé directement. Peut-être parce que c'est un peu étrange ? Je t'écris comme si j'écrivais à une partie de moi, car c'est ce que tu es, et je crois que ça me fait peur.

Ton existence au sein de mon histoire, de ton histoire, n'est pas reluisante. J'aimerais pouvoir te dire que je m'en excuse, mais je ne suis pas sûre de la véracité de ces propos. Cependant, il y a certaines choses que je dois t'avouer, et notamment le fait que tu es sorti de nulle part. Vraiment. Au sens littéral du terme.

Je n'avais pas du tout prévu que tu existes, ou vaguement puisque Charly devait bien avoir un géniteur. Mais ça s'arrêtait là. Je n'avais pas décidé de chemin précis pour toi, tu n'avais pas de destin exceptionnel ni même de raison de faire parler de toi. Pourtant, dès lors que tu es entré dans l'histoire, tu y as pris une cruelle importance. Tu es arrivé avec tes grands sabots et tu as bouleversé tous mes plans. Ce roman est le premier que j'écris, et je souhaitais me contenter d'une romance légère et humoristique sur une jeune femme qui trouve l'amour. Mais plus j'écrivais, et plus tu t'es immiscé dans l'histoire pour m'informer, avec un ton condescendant, que tu n'approuvais pas le moins du monde l'orientation de ta fille. Comme si ça pouvait te faire quelque chose, tu n'es qu'un personnage créé de toute pièce ! Et pourtant, tu as réussi à me blesser comme tu as blessé Charly toute son enfance. Alors à mon tour, je t'ai regardé de haut, et je t'ai rendu la pareille.

Il y a de nombreuses choses que tu ignores. À propos de toi, mais aussi de Charly. Certaines que je ne connais pas moi-même, mais d'autres dont je devrais peut-être te parler... Dois-je te prévenir du revers de médaille que tu t'apprêtes à recevoir en pleine figure ? Dois-je me concentrer sur le passé que je t'ai infligé, ou sur ce caractère que je t'ai façonné ?

Bien... Mettons-nous d'accord d'emblée : je ne t'aime pas. Et je suppose que tu ne dois pas tellement brûler pour moi non plus, mais ça ne me fait rien. Même pas un petit pincement au cœur, je t'assure ! En fait, c'est mieux comme ça. Ça n'aurait jamais marché entre nous, on le voit d'ailleurs bien dans ton histoire. Mais laisse-moi t'en conter une autre, d'histoire. Celle qui a fait de toi ce que tu es.

Je t'ai dit que tu n'étais pas prévu, et c'est vrai. Tu es arrivé comme un cheveu sur la soupe avec ta haine et ta rancœur, et je n'ai rien fait pour te restreindre. Au contraire, je t'ai poussé jusqu'à être un parfait connard. Parce qu'on ne va pas se mentir, tu n'es rien d'autre que ça dans mon histoire. Un père qui a attendu un petit garçon pendant neuf mois pour se retrouver avec une fille à la naissance. Une fille ! Alors que tu en avais déjà une, alors que tu te voyais déjà jouer au foot avec ton bambin et lui apprendre la mécanique. Tu projetais à peu près tous les clichés imaginables et possibles des stéréotypes de genre sur ton enfant à naître. Rien que d'y penser, j'en ai des haut-le-cœur.

Tu n'étais censé être personne dans mon histoire, je ne t'ai même pas attribué de nom, c'est pour dire, mais tu es devenu la voix de tous ces pères qui bousillent la vie de leurs enfants, car ils ne sont pas à la hauteur de leurs espérances. Tu es devenu la voix de tous ces parents qui renient leur progéniture, car leur amour ne répond pas à la norme d'une société patriarcale dans laquelle tu te complais. Tu es devenu la voix de la haine qui se répand comme la gangrène. Tu es devenu la voix que je devais absolument faire taire ! Mais en essayant de te reléguer au plan du personnage que les lecteurs se contenteront de mépriser, tu es presque devenu la raison d'être de mon roman. Ironique, non ? Ce qui était censé raconter une simple ballade amoureuse s'est transformé en vecteur de lutte sociale pour exposer les travers de l'homophobie.

J'ai toujours voulu écrire en faisant passer un message, c'était quelque chose qui me tenait à cœur. Et mon message, c'est toi qui me l'as amené. Mon histoire serait donc une tentative de redonner espoir aux jeunes femmes — mais pas que — bousillées par une société se tuant à les rendre malades quand elles ne veulent qu'aimer. Si un traitement était véritablement à prescrire, ce serait plutôt à la société elle-même que je l'administrerais.

Mon histoire est devenue le drapeau blanc de l'homosexualité. L'histoire de ta fille qui se libère de ton emprise nocive alors qu'elle n'avait même pas conscience de celle-ci. L'histoire de choix qui ont des conséquences, de rencontres qui permettent de se remettre en question — merci Chloé et son éternelle sagesse !

Alors voilà. Cela va peut-être te paraître étrange, mais merci. Merci d'être l'ordure qui donne toute la valeur à mon histoire. Et si j'ai une excuse à te faire, c'est celle-ci : tu aurais pu être n'importe quel personnage, alors je suis profondément navrée que tu n'aies pas obtenu un meilleur rôle. Mais dis-toi qu'au fond, c'était peut-être ça ton destin, donner du sens à mes écrits.

Bien à toi,

Victoria Arroyo"

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant