Chapitre 36

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Le travail s'accumule, et plus les jours passent, plus j'ai l'impression que Chloé se fane. Elle est souvent sur les nerfs, tendue, ou sur le point d'éclater en sanglots, selon le moment. Ça me fait de la peine de la voir comme ça. Encore plus depuis que j'ai eu l'occasion de passer une après-midi entière à l'entendre rire toutes les deux minutes. Mais j'ai beau chercher les oies se baladant autour de ses yeux ces derniers temps, il n'y a personne. Les oies sont en hibernation, et les noisettes bien à l'abri derrière leur coquille.

J'ai fini par comprendre que mon intuition de l'autre jour s'avérait correcte. Ce n'est pas possible que l'amoncellement des dossiers soit le seul responsable de son teint grisâtre. J'aimerais savoir ce qui la tourmente, ce qui l'atteint à ce point pour qu'elle soit si terne, même si je ne pense pas pouvoir changer grand-chose. En effet, tout comme le baiser que l'on a échangé et dont on n'a absolument pas discuté, tout ce qui la concerne est mis sous cloche et elle n'autorise plus ces douces parenthèses à s'ouvrir.

S'il y a bien une chose que je pourrais faire, pourtant, c'est lui offrir un moment hors du temps, sous les draps, où elle n'aurait à se poser aucune autre question que le plaisir de l'instant présent. Le sexe exerce cet effet apaisant sur moi et je ne me priverais pas de lui en faire profiter, mais je ne suis pas certaine que cela soit son truc... Je serai même prête à juste la câliner jusqu'à ce qu'elle se détende si ça peut ramener son sourire sur son visage, c'est pour dire !

Ce qui est d'ailleurs franchement surprenant. Je suis toujours partante pour me préoccuper du bien-être de mes amantes, puisque c'est le meilleur chemin vers le plaisir, mais généralement j'en retire quelque chose derrière. Alors que là, a priori, tout ce que j'en retire, c'est qu'elle soit bien. Juste bien. Et le pire, c'est que ça me va. Parce que je réalise que quand Chloé est triste, ça me touche et je n'arrive pas à être totalement heureuse moi non plus.

Pourquoi est-ce que son état m'atteint autant ? Est-ce que Pauline aurait raison ? Je rejette cette idée en levant les yeux au ciel. Surtout que ce n'est pas mon genre de courir après des filles qui ne veulent pas de moi.

Il ne faut pas déconner non plus, je l'apprécie la Chloé, mais je ne ferai pas ma vie avec. Et puis je ne vois même pas comment ça serait possible. La dernière fois que je suis tombée amoureuse, c'était de Mélodie. J'avais douze ans et je ne connaissais rien aux sentiments. Tout ce que je désirais c'était la faire sourire tout le temps, et quand elle se blessait je ne pensais qu'à la réparer. Je voulais constamment lui tenir la main aussi. Mais c'est à peu près tout ce dont je me souviens de ce que les sensations de l'amour peuvent provoquer. De toute façon, je ne sais même pas pourquoi je me prends la tête sur la question, qu'est-ce qu'on y connaît réellement à l'amour, à douze ans ?

Ce jeudi soir, en rentrant de l'agence, je reçois un message de Pauline, ce qui n'arrive à peu près jamais. Prise de panique, je saisis mon téléphone suite à sa notification personnalisée, et ouvre le texto d'une main.

J'ai démissionné.

Je fixe l'écran avant de rabattre mes yeux sur la route. Puis à nouveau sur mon appareil, puis sur la route.

Ok.

Ok, je me répète à voix haute.

Message reçu.

Je balance mon portable sur le siège passager, et profite du premier rebord de route assez large pour faire demi-tour. Je m'arrête à notre pâtisserie préférée pour acheter des beignets et lui prends également une part de carrot cake, ne sachant pas s'il faut sortir la grosse artillerie.

En arrivant chez elle, Pauline est étalée sur le canapé, les quatre fers en l'air.

– Euh... Ça va ?

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant