Chapitre 43

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Nous avons enchaîné quatre parties. Cela fait plus de deux heures que l'on joue et j'ai l'impression que Chloé pourrait continuer toute la journée.

– Une dernière ? demande-t-elle en mélangeant d'office les cartes.

Encore dix si tu veux, tant que tu ne m'intimes pas de rentrer chez moi.

– Tu sais que c'est la troisième fois que tu me proposes ça ?

– C'est agréable de se concentrer sur autre chose, admet-elle.

J'acquiesce et nous nous lançons dans une cinquième partie. Heureusement que le jeu est amusant. Cependant, cela me fait du bien de la voir souriante et apaisée. Même si nous ne parlons pas vraiment, même si nous ne faisons qu'échanger des cartes, elle ne reste pas seule, et cela me rassure. Mais malgré la situation, je ne peux empêcher une infime partie de moi de se demander si c'est la solitude qui l'inquiète, ou si elle souhaite véritablement passer du temps avec moi.

J'ôte mes chaussures pour la troisième fois avant de suivre à nouveau Noisettes dans le salon. J'ai compris son cinéma. Elle a beau refuser de l'avouer — ou de se l'avouer —, mais à chaque fois que je suis prête à partir, elle me propose une nouvelle manière de rester. D'abord le jeu, puis son envie de faire un gâteau, mais pas de le manger toute seule, et je viens à l'instant d'accepter de l'aider à faire ses semis d'hiver.

Je me contente d'acquiescer sobrement à ses suggestions, mais ça tourbillonne dans mon esprit, et mon cœur fait des cabrioles. C'est sa dernière proposition qui l'a trahie. Je sais pertinemment qu'elle n'a besoin de personne pour planter trois graines dans une boîte d'œufs et les recouvrir de terre. Elle cherche des excuses pour me garder près d'elle. J'imagine que ma présence doit la rassurer, l'apaiser, ou lui faire du bien. Ou tout ça à la fois. Mais tout ce que je retiens, c'est qu'elle souhaite me voir rester, et que je ne vais pas me faire prier !

Je me pince l'arête du nez, épuisée du bruit incessant de mon cerveau. J'aimerais parfois ne pas avoir besoin de décortiquer chaque situation dans le moindre détail. Mais contrairement à moi, mes neurones ne se fatiguent jamais.

– Je peux te poser une question ?

La voix de Chloé me fait sursauter. J'acquiesce d'un mouvement de tête, mais elle secoue son visage au même moment.

– Non rien, en fait.

Je fronce les sourcils. Ce n'est pas vraiment le genre de Chloé de demander la permission de parler, et encore moins de s'en abstenir juste après.

– Vas-y, tu peux m'interroger sur ce que tu veux.

Elle pose consciencieusement ses graines de poireaux en alternance dans chaque alvéole de papier moulé, sur une couche de terreau. Elle ne se presse pas et je la suspecte d'essayer de gagner du temps pour formuler correctement sa requête dans son esprit. Je me demande quelle sorte de question peut nécessiter tant de préparation quand la moindre parole sort habituellement de sa bouche avant même qu'elle n'ait eu le temps de l'ouvrir.

– Est-ce que, euh... Tu pensais à... hum...

Elle souffle et reprend contenance pendant quelques secondes.

– Pourquoi... pourquoi es-tu restée cette nuit ?

Je fronce les sourcils, incertaine de ce qu'elle veut réellement dire.

– Ça me paraît évident, non ?

Elle se crispe imperceptiblement, et son visage exprime un air piqué tandis qu'elle acquiesce avec une moue sarcastique.

Hating, Craving, FallingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant