Chapitre 36 :

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Mon cœur bat à une allure irrégulière. Je me sens vide. Mais en même temps si pleine. Les sentiments coulent dans mes veines, me picotant maladroitement. Mon cerveau cherche à remettre ces idées en place mais c'est impossible, c'est un chaos beaucoup trop important dans ma tête. Mes mains deviennent moites, comme si cette épreuve allait tout changer. Devoir faire un choix qui bousculera tout, qu'est-ce qu'il y a de pire ? J'ai comme l'impression de faire face à deux voies m'emmenant dans des directions opposées. Ce choix changera ma vie. Ce choix marquera mon destin, et je n'ai pas le droit à l'erreur. Pour certaines personnes il serait vite fait. Pourquoi réfléchir lorsqu'on a des sentiments ? En temps normal je suivrais mon cœur, profiterais de l'instant présent et je dirais ''tant pis pour le futur'' mais cette fois-ci, vu le personnage, une réflexion s'impose. Les choses sont différentes avec Jeremy. Il n'est pas comme les autres, il est loin d'être simple et loin d'être prévisible. Je sais que ce ne sera pas l'amour fou, la passion, pas de « je t'aime », pas de balade main dans la main et encore moins un cadeau pour mon anniversaire. Je suis même certaine qu'il ne connaît pas la « Saint valentin » Et qu'il sortira la plus belle excuse de tous les temps : « C'est commercial ». Je sais qu'il continuera sa vie sans moi un jour ou l'autre, et je sais qu'il ne bousculera pas son destin pour le mien. Dès demain, il reprendra sa routine, et il ajoutera juste un petit truc en plus dans son quotidien, contrairement à moi. Je serai plutôt du genre à être envahis par un démon invisible, et je deviendrai accro à lui. Comme une drogue, je ne pourrai plus m'en passer. Je ne serai pas collante, mais je refuserai qu'il parte pour la capitale sans moi. Et si finalement c'était moi qui étais pathétique ? Tout plaquer pour un garçon, je me suis jurée que non. Mais à cet instant, mon cerveau pense autrement. Et si j'y étais déjà accro ? Accro sans même goûter, juste par l'imagination et le rêve. Ce rêve si parfait que j'ai pu faire quelques nuits, s'avise pouvoir devenir réalité. Mais jusqu'à quand ? Et si je retombais dans la réalité et regrettais ce choix ? C'est ça n'est-ce pas la drogue ? Sur le moment on se sent bien, on plane, on rêve, on se sent puissant, mais dès qu'elle n'est plus dans notre sang nous nous sentons faibles, tristes et trahis. Et si Jeremy faisait le même effet ?

Je lève les yeux vers le beau diable. Ma vision de lui a changé. Son air aigri, ferme et méchant s'est transformé en un personnage parfait. La drogue agit. Où sont les défauts qui ont fait que je l'ai tant détesté ?

D'un geste doux, il lève la main vers mon visage, et du bout des doigts touche ma joue tendrement. Ce sentiment est si agréable que pour ne pas que le contact cesse, je place ma main sur la sienne, la maintenant sur mon visage. Un tic-tac se déclenche dans ma tête. Il faut faire un choix, le temps presse. Si je tarde trop c'est le hasard qui s'en chargera, et je regretterais à coup sûr. Le hasard n'est pas trop mon ami, il m'a beaucoup joué des tours, et surtout il ne m'a jamais porté chance. Je n'entends plus mon cœur, je crois qu'il a cessé de battre depuis un moment. Depuis que ses mains sont sur mes joues. Mais depuis quand sont-elles dessus ? J'ai perdu toute notion du temps. J'ai l'impression que la terre a cessé de tourner, l'impression que le monde est suspendu à mes lèvres, attendant le mot qui fera tout basculer. Ce sentiment est ridicule. Personne ne cessera de vivre, ne serait-ce deux secondes, pour moi. Personne n'attend ma réponse, et surtout le monde ne changera pas, peu importe ma réponse. Ce sera mon monde qui changera, ma vie et mon destin. C'est mon avenir que je mets en jeu, mon bonheur. Je plonge mes yeux dans les siens, il me fixe toujours, en attendant patiemment. J'admire son attente, moi qui m'énerve toute seule, me plaignant moi-même que je suis trop longue. Le tic-tac cessera bientôt et le hasard est juste derrière la porte, prêt à entrer. Il est prêt à faire les choses, à me faire regretter ma longue réflexion. Jeremy retire sa main. Je sens. Je vois. C'est le hasard qui commence à prendre les choses en mains. Elle retire la patience de Jeremy et la transforme en agacement. Je vais le perdre. Je vais perdre. Je n'ai plus le temps. Le tic-tac a cessé. La dernière chance, de la dernière seconde. Le dernier grain de sable du sablier est en pleine chute, prêt à faire retentir la fin. Mon destin entre mes mains je me lance : mes lèvres s'approchent des siennes dans un mouvement rapide. Mes mains s'agrippent à son cou pour le retenir, empêchant le hasard de s'en emparer. Je veux faire comprendre qu'il est à moi. Je veux faire comprendre maintenant que je prends en charge mon destin. Mes lèvres se posent sur les siennes avec délicatesse et envie. De nouveau, j'entends mon cœur rebattre. De nouveau, la terre tourne sous mes pieds. J'ai avancé sur une des voies, et maintenant plus de retour en arrière possible. Mon destin a changé, ma vie également et mon acte est inchangeable. Je ne regrette pas, enfin pour l'instant, et je profite de ce premier contact. Jeremy semble de son côté prendre conscience du contacte et de mon choix puisqu'il répond avec envie à mon baiser. Je réalise seulement à l'instant. Je l'ai embrassé. On s'est embrassé. Ses mains passent dans mon dos et je ne manque pas de frissonner. Et si finalement j'attendais ça depuis longtemps ? Si finalement depuis ce premier jour je me mens à moi-même ? Sûrement pour me préserver, mais la vérité éclate enfin. Une vérité que je ne pouvais plus nier, vivre dans le mensonge aussi longtemps n'est plus possible. Et cette vérité c'est que j'ai envie de sauter le pas avec Jeremy. Nathalie avait raison, le destin m'avait-elle dit plusieurs fois. Elle avait raison. Jeremy se redresse et me regarde en souriant. Est-il heureux ? Est-il sincère ? Les doutes s'installent déjà, je suis incapable de profiter simplement du moment. C'est bête. Mais je suis bête. Jeremy est si complexe, si imprévisible que je ne peux que me poser des questions avec lui. Ces paroles qu'il a dit en me regardant dans les yeux semblaient venir de son cœur. Mais a-t-il déjà écouté son cœur ? Il y a un mois j'aurais parié que mon voisin n'en avait pas, et voilà qu'aujourd'hui il me parle avec. Alors que Jeremy allait ouvrir sa bouche afin de parler, la porte s'ouvre, me faisant sursauter. Ma mère nous regarde, sans vraiment se douter de ce qui peut se passer dans ma tête à cet instant.

-Désolé de vous déranger en pleine révision, dit-elle en se mordant la lèvre, mais ta grand-mère arrive Lou. Désolé jeune homme, mais revenez une autre fois avec plaisir.

Jeremy se gratte la gorge nerveusement, et se lève en m'adressant léger sourire.

-Pas de soucis. Dit-il d'une voix rauque. Bonne après-midi.

Il m'adresse un salut de la main assez vif, et se retourne en sortant de la chambre. Dès qu'il passe le seuil de la porte je soupire, relâchant chaque émotion qui était maintenu en moi durant tout ce temps. Ma mère me regarde avec un léger sourire, je crains qu'elle ait vu quelque chose.

-Je ne me trompe pas, commence-t-elle, c'est bien le fils de Murielle ?

-Euh, oui c'est bien ça. Pourquoi ?

-Je pensais que vous ne vous entendiez pas très bien. Dit-elle en haussant les épaules.

-Il y a un petit moment que nous avons enterré la hache de guerre et que nous sommes amis. Dis-je en essayant de paraître convaincant.

Je ne veux pas que ma mère sache, ou du moins pas tout de suite, que je suis avec lui. Suis-je vraiment avec lui d'ailleurs ? Nous n'avons rien planifié, rien officialisé. Je suis encore et encore dans le doute total.

-Ah, tant mieux. Fait ma mère. Vous avez eu le temps d'avancer ? Dit-elle en pointant du nez mon cahier de maths. Heureusement que je l'ai sorti, et que nous étions assis à côté de celui-ci.

-Il a des difficultés, mais oui. Dis-je en haussant les épaules.

-Sa mère serait contente de savoir qu'il fait des efforts. Elle me disait qu'il n'en fournissait plus aucun en cours, et qu'il ne notait même plus les devoirs.

-On va dire que sa priorité n'est pas l'école. Dis-je en souriant.

-Bon, j'te laisse te préparer, mamie arrive.

Je lui lance un « ok », et elle referme la porte derrière elle en sortant. Mon cœur se calme enfin, et je semble reprendre doucement mes esprits. Savoir que je l'ai embrassé me rend folle. Sa présence me rend folle. A côté de lui, je suis incapable de réfléchir, mes organes ne m'écoutent plus et chaque muscle de mon corps se contracte fortement. Vous m'auriez dit ce premier jour où je l'ai vu qu'on allait s'embrasser, je ne vous aurais pas crus.

«09/02 : Cher journal,

J'ai relu les toutes premières pages que j'ai écrites à mon arrivée ici. Je ne suis plus d'accord sur aucun propos, hormis le fait que la prof de maths est cinglée. Tu ne devineras jamais ce qui s'est passé aujourd'hui. Même moi je ne pouvais pas le deviner. Jeremy est venu chez moi, et après un long combat intérieur je l'ai embrassé. Oui ce neuf février était mon premier baiser avec le diable. Espérons juste que je ne joue pas trop avec le feu. Lou. »

Mon voisin de classe [terminé]Where stories live. Discover now