Épilogue

127 10 7
                                    

Quartier de Portobello
Édimbourg, Écosse
22 octobre 2023

𝓞jee

𝓛es doigts suspendus au-dessus des touches, j'ai tenté de me rétracter. J'ai réfléchi à la manière dont j'aborderais les choses, dont je conterais nos euphories, nos maladresses et nos chagrins. Les pensées sur le bout de la langue, la bouche subitement cadenassée.

J'ai trouvé la force d'évincer mes doutes. J'ai misé mon tapis, joué la carte de l'honnêteté, désireuse de récupérer ma liberté quels que soient les gains. C'était moi avec moi-même. Ce serait le cas durant les soixante prochaines décennies.

J'avais trop de choses à dire, trop de mots retenus, de douleur tue. Écrivain au paroxysme de son art, j'ai arraché la moitié des pages. Armée de ma plume, fin prête à affronter l'univers, j'ai monté mon récit de toutes pièces.

Tout cela a existé, nous avons véritablement existé, mais tu es et demeureras dans ces lettres le fruit de mon imagination, une mise en scène assumée qui n'a pour seule ambition que de me distancer de cette réalité. Ma réalité.

Je suis extrêmement sensible, c'est un fait. Mais quand je relis ces textes, je revis aussi tous ces moments d'une honnêteté rare.

Quand j'écrivais, peu importe mon humeur, peu importe ma douleur, je ressentais chaque émotion, chaque souffle lourd, chaque larme coincée entre les cils, séchée le long de ma joue. Il n'y avait que moi avec moi-même : c'était un cadeau que je m'offrais, celui de plonger dans mes propres abîmes pour fouiller, hurler, vaincre, en ressortir grandie, guérie.

Je ne crois pas tellement en la guérison. Pour moi la guérison est un processus, comme lorsqu'un enfant devient adulte ou qu'une chenille se transforme en papillon. Il n'y a pas de mode d'emploi. Il n'y a pas un jour où l'on se réveille et où l'on se dit : « Je suis guéri ».

Je pense qu'il s'agit avant tout de résilience. Savoir plonger dans ses propres abîmes, quelle lourde introspection. On accepte de se heurter à quelques vérités douloureuses. On accepte de livrer nos peines et nos tracas aux mains de la Souffrance pour qu'elle les transforme en Bonheur...

J'ai écrit une histoire parce que j'avais le cœur brisé. On ne naît pas parfaits et parfois, même des êtres qui voudraient s'aimer pour l'éternité ont le regret de voir que leurs promesses ne tiennent pas. On doit se séparer d'eux malgré l'amour ou l'amitié qu'on leur porte parce qu'à leurs côtés, on ne sera jamais en paix. On aura sans cesse à prouver notre valeur, chercher à se faire respecter, à se faire entendre.

J'avais besoin de leur dire toutes ces choses tapies au fond de moi, ces mots qui nourrissent ma colère. Sans ça, elle m'aurait consumée à petit feu – mais n'est-ce pas déjà le cas ?

J'ai voulu jeter ces cartes, faire table rase du passé, ne pas m'épancher sur mes blessures et faire mine de les panser. Puis j'ai réalisé qu'elles font partie du cheminement. Que sans douleur il n'y a pas de leçons apprises, pas d'évolution pour paraître moins pédagogique.

J'ai libéré ces démons insatiables, j'ai écrit sous quelques grammes, le cœur déchiré et les yeux remplis de larmes. J'ai écrit chaque fois que le bonheur était insupportable, quand il faisait éclater mon âme et mon cœur en milliers d'éclats dans un fracas difficilement oubliable. J'ai compris qu'être moi était un pouvoir, que tout un chacun a son petit plus à apporter au monde.

J'ai ouvert les yeux sur la réalité, compris qu'un rien peut tout changer, qu'on doit défendre nos idées avec vigueur. Notre voix a un impact et notre existence donne un sens à celle des autres. Ils ont aussi à nous apprendre... Leurs propres visions ne peuvent que nous ramener sur le chemin de notre vérité, quitte à l'ébranler parfois.

La Justesse de tes ÉmotionsWhere stories live. Discover now