Dix-huit

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Quartier de Portobello
Édimbourg, Écosse
29 mai 2022

𝓞jee

𝓔crire, c'est se mettre à nu en se cachant derrière des êtres fictifs.

On ne touche à la vérité – notre vérité – que si l'on cesse de broder, cacher. Si, plutôt que de détourner la réalité, on l'embrasse telle qu'elle est. Sans s'effacer derrière les désirs des autres, sans les laisser nous définir par leurs regards, par toutes ces attitudes qui tendent à nous faire croire qu'on vaut moins.

J'ai prié pour que vous ayez conscience de ma peine. J'ai prié pour que vous tombiez sur ces lettres. J'ai songé à les cacher sous vos oreillers, entre les plis d'un vêtement... J'aurais aimé vous le faire payer. J'ai prié pour que vous compreniez.

Puis une voix a murmuré à l'intérieur de moi : pourquoi est-ce que je devrais vous donner cela ? Pourquoi est-ce que je devrais vous livrer cette part de moi-même ? Pour que vous validiez mes pensées, que vous légitimiez mes ressentis ?

Pour une fois, ne pourrais-je pas me donner la permission, le droit de faire le point avec moi-même sans attendre l'approbation de qui que ce soit ? Ai-je réellement besoin de vos jugements ?

Ce sera moi avec moi-même pour le reste de ma vie, alors voilà le choix que j'ai fait...

J'aimerais que vous sachiez.

J'aimerais que vous sachiez, vous qui êtes à mes côtés au quotidien, que je lutte depuis deux ans contre l'anxiété. Dans mon cas, l'anxiété se manifeste par des troubles multiples : dermatillomanie, déréalisation, dépersonnalisation. Ces termes sont inconnus au bataillon ; la plupart diront que j'en fais trop, mais je m'en moque, honnêtement.

C'est ça qui se cache derrière la prose et les grands mots. De la souffrance. Peu, si ce n'est pas d'estime de soi. Cela se reflète dans mon entière personnalité...

Je ne suis pas quelqu'un de léger. Je ne sais pas parler du beau temps, du dernier film qui est passé à la télévision ou du dernier potin de télé-réalité – du moins, à petite dose. Je pars sans cesse aux trousses du trash, de l'émotion et du drame. J'ai besoin d'être confrontée à la réalité et à ses pires aspects pour faire resurgir les meilleures facettes de ma personnalité.

Ma créativité trouve sa source dans le chagrin et le désarroi, la colère le plus souvent. Je m'amuse de petits détails, mais j'ai besoin de profondeur, de vérité, d'authenticité. De me sentir connectée à l'autre. J'ai besoin qu'on me livre ses peurs sur un plateau en argent. J'ai besoin de découvrir les failles, de comprendre comment, pourquoi.

J'ai surtout besoin de voir qu'on est tous plus forts que ce que l'on croit, et qu'en y mettant du cœur et de la hargne, on pourrait atteindre le Saint Graal : une main tendue, un sourire, un échange. De l'énergie, de l'ambition, de la positivité ; de l'amour, du respect, de l'honnêteté. Et beaucoup d'humour.

Il en faudrait peu pour réparer toutes ces âmes torturées.

Je ne suis pas quelqu'un de léger. J'ai un rapport aux autres, à la vie qui tient de la dépendance. Suivie par une psychologue pendant dix ans, de l'enfance à l'adolescence, j'ai compris ce qu'étaient la maltraitance et la négligence psychologique. Dans certains foyers cela prend la forme d'une marque violacée, dans d'autres ce ne sont que des paroles.

En apparence.

Parfois, cela s'étend au-delà du cercle familial, mais ils ne le comprennent que plus tard, trop tard.

Pendant des années, je me suis battue pour faire valoir ma voix. Plus on me réduisait au silence et à l'impuissance, plus ce feu intérieur grandissait et clamait haut et fort : écarte-toi, dégât, dégât, dégât. Cette mélodie, non, ce brouhaha, ne cessait de gagner en ampleur.

Pendant des années, je me suis battue contre mon sang pour faire valoir mon bien-être mental. J'ai cru en moi. J'ai cru en cette petite voix qui me disait : pars. Pars et ne reviens jamais, où tu en paieras le prix de ta propre vie.

Plus l'anxiété est forte, plus elle se fait ressentir par le corps et les sens.

Pendant des années, je me suis battue contre l'irrespect, le dénigrement, la manipulation. J'ai lutté contre l'aliénation mentale, j'ai tenu bon. J'ai crié : écoutez-moi à qui voulait bien l'entendre. Et quand bien même ce n'était pas le cas, je continuais de m'écouter moi.

Alertes à répétition, convocations, mais toujours ce même silence, cette même inaction. Je me suis promise de ne jamais plus me laisser détruire par un tiers – ni par ses actes, ni par ses mots, et ce, quelle que soit la situation.

Demande-moi de me taire, et je hurlerai plus fort. Ordonne-moi de rester et je partirai sans le moindre remords.

Aujourd'hui, je ne me bats plus contre mon sang, mais contre le monde. Contre moi-même, contre mes proches jusqu'aux inconnus dans la rue. C'est un débat passif, une colère sourde, un silence toujours envahi de non-dits.

Toujours quelque chose à redire, à contester, à réprimer. À sauver. Plus rien qui passe sous silence cette fois, mais un flot d'informations incessant qui souille et dissipe l'esprit. Qui me perd.

Désormais, je lutte contre mes émotions. Je vis dans la crainte et dans l'attente, à travers le passé et jamais dans l'instant présent. J'ai beau essayer, je ne parviens pas à lâcher prise. Je ne parviens pas à lui céder mon bonheur, à le placer entre ses mains, décrocher, inspirer. Je lutte encore et encore, même à bout de souffle, même au bord du gouffre. Même à fleur de peau.

Je vis à moitié penchée dans le vide dans l'espoir qu'aucun vent ne viendra perturber mon équilibre. Je me trouve des prétextes et j'en ai parfaitement conscience : c'est ce qui me tient à l'abri, bien au chaud, du monde dans lequel on vit.

Un monde régi par des standards dans lequel on s'obsède à véhiculer une bonne image de soi, où l'apparence physique et une série de chiffres sur une balance électrique comptent plus que nos propres valeurs ou notre beauté intérieure.

Putain de société de consommation dans laquelle on se sent seul, au point qu'il y ait de ces jours où la douleur est si forte que les larmes cessent de couler à l'intérieur pour enfin se montrer au grand jour.

Oui, décidément, il n'y a rien de plus terrifiant que de découvrir ses failles, d'être dans cet entre-deux où l'on s'adule et où l'on se répugne à la fois.

La Justesse de tes ÉmotionsWhere stories live. Discover now