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Fontaine-de-Vaucluse, France
23 juin 2022
𝓡alph

𝓞jee,

Depuis des mois, l'image de ton sourire habite ma mémoire à la manière d'un porte-bonheur. Merveilleux est le regard que tu poses sur moi quand tes prunelles tutoient les miennes et paraissent murmurer ce qui n'a jamais osé franchir la barrière de tes lèvres.

Lorsqu'enfin, les mots s'évadent de ta conscience pour se confronter à la vie réelle, je sais, je jurerais n'avoir jamais vu rien de tel. Tu es la simplicité incarnée, un petit bout de femme aux pulsions démentes et au tempérament calme.

J'ai l'air un peu crétin à l'instant où je t'écris ces confidences, destinées à combler de son encre noirâtre, le blanc des cartes postales que nous dissimulons sous nos taies d'oreillers respectives.

J'ai voulu me la jouer romantique, j'ai sorti le grand jeu. Adossé à la tête de lit récepteur d'honnêtes tendresses, je n'ai qu'un désir, unique volonté qui persiste : coucher sur papier ce qui, jusqu'à présent, m'a semblé être une parenthèse éveillée, une bulle de sérénité que je ne me résoudrais à percer.

Les idées fusent, remèdes à des maux à double tranchant. Les cieux grondent, des cordes d'eau sillonnent les gouttières de la résidence secondaire. L'humidité de la terre diffuse dans l'air une odeur musquée et fraîche. Tes paupières demeurent closes, ta poitrine nue se soulève paisiblement sur la mienne.

Cela me trouble quelque peu : il suffirait d'un rien pour que je dépose ma plume et que je lève les armes, soldat déchu condamné à faillir sous les pions de Cupidon.

Rassure-toi cependant, pour mener à bien mon dessein, je m'efforcerai de ne pas extrapoler. J'appellerai un chat par un chat et parfois, certains de mes dires risqueront de te heurter. La vie est ainsi faite : si les êtres que nous aimons manquaient leur devoir de franchise, il s'avère fort probable que nous nous perdions au travers de celle-ci, ensevelis sous un flot d'artifices.

Pacha, la dalmatienne de mon grand-père regretté, a pris place entre nous, manquant de te tirer de ta léthargie. Ses longues pattes tachetées s'étendent et se posent sur mes avant-bras. Je l'esquive de justesse, me félicitant intérieurement pour n'avoir pas eu à raturer une demi-page. On se serait éloignés de la pureté des correspondances épistolaires du dix-septième siècle... (Cet art a toujours eu le don de me fasciner – écrire demande du courage, implique de livrer son âme.)

Tu soupires d'aise. Tes poings se resserrent, froissant ma chemise cotonneuse. Mon sourire est sincère... Le tien a, j'en mettrais ma main à couper, longtemps cherché à me berner.

La Justesse de tes ÉmotionsWhere stories live. Discover now