Douze

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𝓙e borde le bois de Dalveny, m'interrompant dans ma lancée pour m'asseoir sur un rocher surélevé. De la mousse s'échappe un air aussi moite que sur la plage, mais qui s'est toutefois rafraîchi. À l'ombre sous les pins, j'extirpe une photographie de mon sac à main.

Je n'avais jamais remarqué la façon dont tu me regardais sur cette photo. Une main sur ma taille, l'autre sur mon ventre, le visage tourné dans ma direction où un sourire sincère transparaissait. Je l'imaginais sans peine en observant les commissures de tes lèvres se relever.

Certes, tu n'étais pas des plus apprêtés ce jour-là : ton usuel pull bleu, ta chaîne en argent, un bas décontracté. Je savais à quel point tu étais beau, à quel point ta peau était douce, combien j'aimais son contact sur la mienne. J'adorais te voir ainsi : léger, enthousiaste, amoureux. Tout juste sorti des draps, tes boucles de cheveux humides retombant sur ton front.

Jusqu'à présent, j'avais été obnubilée par l'image que je renvoyais. Je me plaisais dans tes bras, j'aimais ce que je dégageais – du moins, la majeure partie du temps. J'étais autocentrée, comme si j'étais incapable de réaliser et d'admettre ma valeur sans l'amour d'un tiers. Il me fallait leur approbation, leur soutien, leur affection. Oui, ça avait toujours été le cas. J'étais tout bonnement incapable de m'affirmer seule, aussi forte et sensible que j'étais.

Je privilégiais l'apparence et les faux-semblants à la vérité, une sorte de narcissisme dissimulé par crainte de ressembler à celle qui m'avait mise au monde. Finalement nous étions semblables, elle et moi : je ne savais pas exister, prendre ma place, m'imposer. J'étais constamment dans le doute, le manque d'assurance, la comparaison.

Les seuls instants où je me sentais vivre étaient au cœur de fêtes délirantes. J'aimais m'y voir lâcher prise après des mois de retenue, devenir une tout autre personne, mille fois plus enjouée que je ne l'étais déjà – euphorique.

La musique m'emportait et rien d'autre ne comptait si ce n'était l'harmonie entre cette dernière et mes pas. Elle m'octroyait le loisir d'oublier, le temps de quelques heures, ce que je redoutais tant chez moi. Je n'étais plus la fille timide, réfléchie et raisonnable. J'agissais, je chantais, dansais ! Le monde tournait autour de moi sauf que je virevoltais bien plus vite... J'étais sans limites.

Je tripote les brindilles sous mes doigts, laissant des bribes de sève s'y coller. Je mords l'intérieur de ma lèvre, l'estomac retourné, une seule pensée en tête : je suis un leurre. Un maelström de faux-semblants, de sourires grandiloquents. Les autres disent de moi que je suis pétillante, lumineuse. Ils ignorent la noirceur que contient mon âme, l'empreinte que mes plus grandes déceptions ont laissée.

Je suis la risée. Le boulet qu'on traîne derrière soi sans parvenir à s'en délester. Je ne suis plus seulement celle qui manque de confiance, s'excuse pour tout, s'en veut parfois d'exister, d'avoir de telles réactions – exagérées. Aujourd'hui  je suis aussi celle qui a trahi. C'était inconcevable pour moi, tant que ça a détruit ma vie.

Je reprends mon chemin. Sourcils inclinés, le regard aussi droit que ferme et les épaules en arrière, j'essaie de paraître assurée. Bien plus que ça, indestructible.

Mon regard parle à ma place. Il vaque sans cesse. Dans un si petit quartier, il arrive que je confronte le dédain et la rancœur de ceux que j'ai blessés. Pourquoi suis-je si tourmentée par cette idée ?

Une voix intérieure me rappelle : sans doute parce que certains choix font mal tandis que d'autres détruisent.

Se haïr, plus que détester les autres, demeure le pire des fléaux.

Si vous saviez.

Il suffirait d'une faille pour entendre à nouveau le son de mes sanglots, trop souvent étouffés par des douleurs innommables plus que par l'ego. Ce déchirement, je pourrais le ressentir au creux de mes entrailles, à travers ma poitrine...

La Justesse de tes ÉmotionsWhere stories live. Discover now