Dix

107 14 9
                                    

Quartier de Portobello
Édimbourg, Écosse
10 janvier 2022

𝓞jee

𝓒her Jesaïa,

Tout ce qu'il y a de plus sublime, je le réduis en miettes. Je n'ai jamais su conserver l'innocence, la magie, la douceur, le dynamisme. Avec moi tout s'essouffle, force est de le constater aujourd'hui.

Dire que j'imaginais cette fin serait un mensonge. C'est ça qu'il reste après la fête : les regrets. Les regrets qui te rongent, t'usent jusqu'à la moelle. Pitoyable survivant happé par les apparences, ne reste que le désir insatiable de tout recommencer sur de nouvelles bases, des bases saines.

Sache, toi que j'ai blessé, toi qui me détruis à petit feu : je suis immensément désolée. Ne crois pas à mon sourire factice, ne crois pas à mes gestes grandiloquents. Je souffre mais je me protège, je refuse de croiser ton regard, craignant d'y déceler de la déception ou de la hargne. Je n'aurais pas la force de constater ta médisance, de lire sur tes lèvres toutes ces choses qui ne me caractérisent pas mais te trompent par mes actes. J'ai peur, j'ai mal, si mal et je ne cesserai de m'en vouloir.

Les néons sont éteints, les basses ont cessé de hurler. Mon cœur saigne comme il n'a jamais saigné. Les larmes ne me délivrent plus, j'ai du mal à respirer. Mon entrain est retombé et je réalise toute la peine que j'ai causée ; causée par amour, envers et contre tous, en dépit de mes propres valeurs.

J'ai la gorge nouée, plus la moindre force ni volonté d'avancer. Je m'accroche à l'écriture en espérant qu'elle me sauvera. Je pense à l'indulgence dont j'ai fait preuve, soutenant mes proches contre vents et marées, pardonnant mille et une fois. J'ignorais qu'on ne me le rendrait jamais.

J'ai imaginé des centaines, si ce n'est des milliers de fois des mots d'excuses. Je ne les prononcerais pas pour me dédouaner, pas pour endosser l'entière responsabilité de cette situation non plus. Ce serait des mots calmes, des mots d'adieux avant tout. Sans doute commencerais-je ainsi : « Tu aurais une minute à m'accorder ? »

Mon cœur se remettrait en route l'espace d'une seconde. J'aurais du mal à m'exprimer sans enfoncer le couteau dans la plaie. Je dirais probablement : « L'eau a coulé sous les ponts », profitant du moment pour me délester de ce poids, récupérer ma liberté.

Je t'expliquerais que j'ai tenté de faire au mieux, que je pensais être juste et prendre la meilleure décision pour moi-même. Que je me suis trompée, pas vis-à-vis de Ralph, mais de la manière dont notre histoire a débuté. Je te rappellerais combien ton respect et ton affection m'ont élevée. Je te remercierais de t'être montré présent par le passé...

Sauf qu'il n'y a plus rien à sauver.

C'est pour cette raison que je me livre à travers papier. J'espère qu'un jour tu tomberas sur ces lettres, que tu les liras avec une attention démesurée, décortiquant la moindre de mes paroles, saisissant l'ampleur de ma souffrance et de mes regrets.

Je ne veux pas susciter ta rancœur. Je te souhaite le meilleur même si tu n'as eu aucune peine à me démolir auprès d'autrui. Je ne m'abaisserai pas à cela. Je n'oublierai pas ces mois de lutte acharnée, de combats intérieurs. Je tiens à rester celle que j'étais et que je suis aujourd'hui à mon plus grand soulagement : intègre.

Il n'y aurait pas d'accolade, pas de sourire en coin. Pas de larmes aux coins des yeux comme cette fois où, au beau milieu d'une soirée grandiose, j'avais dû te dire au revoir et te laisser partir pour mieux bâtir ton avenir. Je savais, à cet instant déjà, que notre amitié changerait à tout jamais. Je l'espérais solide, infaillible. Désormais je ne prendrai plus quiconque pour acquis.

Ma plus grande crainte était de vous décevoir. J'ignorais à quel point ça me fissurerait de vous voir pousser la rancœur à son paroxysme. Les choses sont allées trop loin et en vérité, cet acharnement m'a éreintée. Je ne regagnerai pas votre confiance, je ne souhaite pas renouer le contact. Simplement tirer un trait, avancer.

Avec du recul, je pense que toute cette histoire n'était qu'une question d'ego. De choses à se prouver à soi-même. De caricatures, de réalités à désidéaliser. Ça n'a fait que briser mes souhaits.

J'apprends peu à peu à me pardonner, à faire la part des choses. La promesse que je conclus avec moi-même est la suivante : ressortir grandie de ces épreuves. Ouvrir les yeux, comprendre qu'on ne détient pas la vérité dans son entièreté. Saisir les nuances car on n'est jamais l'unique fautif.

Il y a des choses dont je n'arrive pas à parler, ça viendra probablement avec le temps. Tout me paraît évident maintenant, c'est dans la douleur que je me suis trouvée.

Oh et, une dernière chose Jesaïa : nos derniers échanges marqueront nos esprits, mais je ne manquerai pas de veiller sur toi. Je t'embrasse malgré tout.

Adieu,
Ton ange gardien de loin

La Justesse de tes ÉmotionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant