Onze

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Quartier de Cramond,
Édimbourg, Écosse
20 mars 2022

𝓞jee

15 : 56

𝓙e marche le long de la digue, cheveux au vent, soleil de plein fer. Les herbes hautes se délient de mes chevilles et le sable tiède, en zigzag sous la marée basse, accueille la plante de mes pieds.

Un avion plane au-dessus de l'île. J'aperçois des enfants se faufiler entre les ruines du fort qui domine la mer du Nord. Boucles serrées et bouille attendrie, je transpose le visage insouciant de mon premier amour quelques années plus tôt.

Je poursuis ma route, arpente le village et ses maisons aux tuiles oranges induites en pierre de chaux, le cœur serré à ta pensée.

Il y a des jours où ton souvenir est limpide, où les larmes imprègnent les draps. D'autres où elles ne coulent plus, mon chagrin se faisant la malle.

Cinq mois ont passé depuis que j'ai mis fin à notre histoire. Cinq mois que je puise au fond de ma mémoire, grattant, fouillant, me flagellant – disposant quelques gouttes de ton parfum sur ce tissu noir que je serre fort contre moi. Il ne te remplacera pas, et des « si » n'atténueront pas mes regrets.

Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai rêvé de toi, où j'ai senti la chaleur irradier de ton corps et envelopper le mien. Ça me semblait si réel à chaque fois.

Sans ces rappels nocturnes, j'oubliais ton parfum, j'oubliais ta voix. Des extraits vidéos avaient le pouvoir de me la rendre. Je n'avais de cesse de te confondre avec d'autres, de trouver un peu de toi dans tout ce monde.

Plus d'une fois j'ai craqué et pincé le goulot de ton parfum. Aussitôt, les larmes noyaient mes yeux : c'est comme si tu étais là, tout près de moi, tout contre moi. Je t'embrassais, je m'accrochais à toi comme à la dernière bouée de sauvetage d'un navire sur le point de sombrer. Ma mémoire rejouait tout ce que nous avions traversé, ces fois où nous nous étions enlacés comme si demain ne viendrait pas.

Mon ange, j'ose encore t'appeler ainsi...

J'aimerais te partager mes victoires et mes défaites. Te dire que notre complicité me manque et qu'il me tarde de m'endormir pour te retrouver dans un monde parallèle au nôtre. Retrouver le son de ta voix, l'éclat de ton sourire qui me transperce le cœur, la douceur de ta peau. Sentir à nouveau tes bras s'enrouler autour de moi, tes lèvres déposer des baisers partout sur mon visage.

Tu me manques. Tu me manques et je prie pour que tu ailles bien. Je pense à toi souvent. Je sens que notre histoire m'échappe, je sais que je t'ai définitivement perdu et ça me taraude. Je songe à des détails anodins : te dire que je suis bien rentrée, je me languis de te revoir le week-end prochain.

Je n'ai pas de colère, juste la crainte que le temps fasse son œuvre. Les jours s'égrènent et l'émotion ne me gagne plus autant quand j'évoque tout cela. Je ne ressens plus le besoin de m'accrocher désespérément à un bout de toi. C'est seulement lorsque je réécris notre histoire que cet amour me saute au visage, l'air si vif, si récent et me laissant pantelante, à fleur de peau.

A-t-on vraiment existé ? chuchote le temps.

Mon être tout entier lui répond avec véhémence : tout cela a existé. Nous avons existé. Bien que nos chemins aient convergé en des points opposés, nous serons éternellement liés par cet amour que nous nous portions ; par ces mots doux échangés, ces conversations à cœur ouvert qui ont inéluctablement fini par nous le crever.

La Justesse de tes ÉmotionsWhere stories live. Discover now