2. changer

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Dire que je suis choqué de le voir serait mentir. Je l'ai tout de suite reconnu, et je suis surpris de le voir ici. Mais après tout, la dernière, et unique, fois que je l'ai vu remonte à plus de deux ans, alors en soit, le voir là n'est rien d'autre que de l'incompréhension, voir même suis-je obligé de me dire : quelle coïncidence ! Mais il y a bien une chose qui me frappe immédiatement, cependant. Ce n'est pas le Eden que j'ai connu à cette soirée.

Lui qui s'était montré timide et discret, là, ça n'a rien à voir. Sa façon désinvolte de descendre les marches en sifflotant, d'à peine s'excuser d'avoir coupé le professeur, son petit sourire condescendant. Tout indique qu'il a envie qu'on le remarque, et plus encore, qu'il mène le jeu et qu'il fasse rire ses camarades. Quelque chose, malgré moi, m'énerve alors soudainement. Je ne peux pas cautionner ce genre de comportement, tout simplement parce que c'est ce que j'ai supporté pendant mes trois années de lycée et c'est ce que j'ai fuis. Énervé ne serait d'ailleurs pas le mot adéquat, mais plutôt irrité. Et, plus étrange encore, je me sens concerné au point de vouloir le remettre à sa place.

Je l'observe alors qu'il cherche quelque chose des yeux, et son regard tombe sur la bande de personnes assises devant moi qui lui font de grands signes. Il leur rend leurs coucous avant de descendre tout en bas de l'amphithéâtre et de tout traverser pour les rejoindre. Pas une seule fois, son regard n'est tombé sur moi, il ne m'a pas vu. Il s'assoit sur les genoux de l'une des filles assises en bout de rangée et le professeur, légèrement vexé, recommence son discours de bienvenue. Il est là, juste deux mètres devant moi. Ses cheveux bruns forment une masse hirsute sur son crâne, lui chatouillant les yeux. Il porte une chemise à carreaux rouges sur un débardeur blanc. Un sourire plaqué sur le visage, il ne cesse de donner des coups de coude à ses voisins et à rigoler avec eux, ignorant complètement les paroles du professeur.

Serrant les dents, je finis par détourner mon attention et essayer de l'ignorer. Mais c'est presque impossible tellement ils bavardent sans se soucier des gens autour d'eux. Après qu'un professeur se présentant ne leur ait demandé trois fois de suite de se taire, ils finissent par se faire plus discrets, et je peux enfin profiter de la réunion. Un à un, les professeurs ont parlé de leurs cours, du fonctionnement des examens, ce genre de chose. Je n'ai compris que la moitié des choses qu'ils ont raconté, mais j'ai pris tout de même quelques notes, et je sais que j'arriverai bien à trouver le moyen d'avoir plus informations plus tard.

Cette licence demande beaucoup de travail personnel, beaucoup d'implication et surtout, de bien se cultiver. Mais je ne demande que ça, camper à la bibliothèque de l'université, ou bien errer dans les musées toute une après-midi entière. Je ne sais pas encore où ces études pourraient déboucher, mais je me vois assez bien historien, guide dans un musée, sur un site archéologique. Le must du must, serait sûrement d'être une sorte d'aventurier de la faune et la flore. Entre autre, un Indiana Jones des temps modernes, même si en soit, c'est impossible. Mais je me vois bien fouiner dans les coins les plus refoulés de la planète, simplement à la recherche d'une trace dans un ancien temps, d'une ancienne civilisation, ou tout simplement une ancienne vie.

Au moment de ranger nos affaires, un gros brouhaha résonne alors dans l'amphithéâtre. Lorsque je regarde autour de moi, je remarque que beaucoup de gens ont commencé à sympathiser. C'est peut-être le moment d'échanger quelques mots avec mes voisins respectifs, mais alors que je me tourne vers la fille sur ma droite, elle a disparu, et le garçon sur ma gauche fait coucou à un autre, plus loin. La solitude est une nouveauté à laquelle je suis confronté depuis peu. Je ne savais pas vraiment ce que c'était avant que je ne décide de couper les ponts avec mes parents. Au contraire, au lycée, j'étais sûrement l'un des garçons les plus populaires, et ce, sans me vanter. Nous, les mecs de l'équipe de volley, avions ce statut un peu particulier de stars respectées. Je n'y aurais jamais cru, mais quand j'allais au lycée, j'avais souvent l'impression d'être l'un de ces adolescents américains qui déambulent entourées de ses pompom girls, joueur dans l'équipe de football et garçon populaire par excellence. Celui qui emmerde les geeks dans le couloir et qui gonfle le torse à la moindre occasion.

Pour que tu m'aimes encoreWhere stories live. Discover now