10. inutile

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Dans ma tête, les images de la fois dernière, lorsque je l'ai trouvé malade après la soirée, dans une ruelle sombre, me reviennent. J'ai exactement l'impression de revivre ce même moment, et de nouveau, je me demande "mais qu'est-ce que je fais là ?". Et la réponse est simple, je n'ai rien à faire là. J'ai essayé, déjà, la dernière fois, de m'immiscer dans ce qui ne me regardait pas, et on m'a royalement rembarré. Alors peut-être que je devrais changer ma façon de faire et tout simplement mettre les voiles dès maintenant. Oui, ce serait un comportement totalement lâche, mais j'ai essayé de jouer les héros la dernière fois et je m'en suis mordu les doigts.

Je regarde Eden, qui est prostré contre le mur en carrelage des toilettes. Derrière moi, trois portes, juste en face, trois lavabos. Et dans la pièce, seules âmes qui vivent, les deux nôtres. Maintenant, son corps me sépare de la sortie. Il porte un t-shirt blanc, et mes yeux se posent sur la peau à la base de son cou, là où se dessinent les os de ses clavicules. Ses cheveux sombres sont plaqués sur son front tandis que ses épaules sont toujours secouées par des sanglots étouffés.

Putain

de

merde.

Ok, je suis plutôt quelqu'un de lâche dans la vraie vie, mais là... Je ne peux pas m'en aller. Qu'est-ce que les gens penseraient de quelqu'un qui s'en va en fermant les yeux devant un de ses camarades en train de pleurer à ses pieds ? J'ai un cœur, et à ce moment précis, il bat à tout rompre dans ma poitrine, et je sais qu'il m'en voudra si je fuis aujourd'hui. Les secondes défilent alors que je reste planté là, parce que malheureusement, même si j'ai décidé de ne pas prendre les jambes à mon cou, la solution ne m'est pas apparue comme par magie. Je ne suis pas doué pour ce genre de chose. Est-ce que je suis censé poser une main compatissante sur son épaule ? Là, juste à la bordure de son t-shirt, où poussent les os de sa clavicule ? Oh, mon dieu, j'ai chaud. Je divague totalement.

- Eden, est-ce que ça va ?

Je peux entendre d'ici les applaudissements ironiques d'un foule en délire. Mais qu'est-ce qu'il m'a pris de lui demander si ça allait ?! Bien sûr que ça ne va pas, sinon, il ne serait pas en train de pleurer ! Cependant, il cesse de bouger, et tandis que je retiens mon souffle, il lève les yeux vers moi. Deux billes sombres, aux allures d'une mer déchaînée et enchaînée, me submergent alors totalement. Il me faut quelques secondes, et pas mal de clignements d'yeux un peu perdus, pour reprendre mes esprits et me rappeler où je suis. Je remarque que de gros cernes marquent ses traits et que ses yeux sont remplis de larmes qui refusent de tomber.

Il y a quelque chose sur son visage, dans son regard, une lueur à la fois sauvage et craintive qui me vrille et me retourne l'estomac dans tous les sens. Sur le coup, je ne me souviens même plus que deux minutes plus tôt, je pensais peut-être à m'enfuir, parce que là, sur le coup, tout ce que je veux, c'est le prendre dans mes bras, chasser ses craintes, ses peines, peu importe leurs origines. Une grosse larme dévale alors sa joue, et son visage se déforme sous une souffrance à laquelle je n'ai jamais assisté. Il sert ses bras contre lui alors que ses sanglots redoublent et qu'un râle meurtri s'échappe de ses lèvres.

Je finis par prendre mon courage à deux mains et je m'accroupis devant lui. Mais à peine mon visage se retrouve à la hauteur du sien, il me repousse violemment de la main, frappant dans ma poitrine d'un coup sec. Mon équilibre se voit alors compromis et je bascule en arrière, me retrouvant sur les fesses, et surpris. Eden cache ses yeux derrière le creux de son coude tandis que les larmes se déversent sur son t-shirt et qu'il pleure sans même se cacher, étouffant ses cris dans son bras. Sa douleur me frappe de plein fouet, par tous les pores de ma peau. Qui lui est-il arrivé ? Pourquoi souffre-t-il autant ? Est-ce qu'il a mal quelque part ? Est-ce qu'il est malade ?

Pour que tu m'aimes encoreWhere stories live. Discover now