3. La Lunette

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Après avoir offert une assiette de pâtes à la bolognaise à Shelly, je ne pouvais pas me permettre plus, surtout si ce soir on sort avec Jonas, j'ai pris le temps de me préparer. En réalité, j'ai simplement changer de t-shirt. Le temps file à une vitesse incroyable, et je pense que cela sera encore pire une fois que les cours auront commencé. Avant, tout me paraissait d'une facilité déconcertante, le moindre problème semblait s'effacer dans la seconde. Je n'avais aucune inquiétude pour quoi que ce soit. Mes notes se portaient plutôt bien, l'équipe de volley n'était pas mauvaise, les problèmes d'argent étaient inexistants. Je vivais dans une sorte de cocon, sans même me rendre compte que la vie à l'extérieur était différente. Je n'avais tout simplement pas conscience qu'il y avait une vie à l'extérieur, une vie où toutes sortes d'inquiétudes pourrissent au dessus de notre tête et obsèdent nos pensées, où la peur du lendemain a une place plus grande dans notre cœur que tout le reste. La peur de ne pas savoir comment demain va se passer.

Mais en soit, j'ai l'impression de vivre pour de vrai, maintenant. Ma vue n'est plus voilée par un bonheur créé de toutes pièces. Je décide de ce qui me rend heureux, et de ce qui me fait souffrir. Je vis ma propre vie, et ça, je crois que ça n'a pas de prix.

Il n'y a rien qui ne me fasse plus plaisir que de décider de mes choix, qu'ils soient bons, ou mauvais. Et le choix des personnes à mes côtés est sans aucun doute l'un dont je suis le plus fier. Jonas est un ami, excentrique, mais également exemplaire. Je sais que je peux compter sur lui pour n'importe quelle situation, et il peut compter sur moi. Honnêtement, je cacherais un cadavre pour lui. Rien que pour le remercier de rester auprès de moi malgré ce que j'ai abandonné. Il a bien été le seul à le faire, après tout. Dans le fond, c'est plus comme si c'était lui qui m'avait choisi et non moi.

Le retrouver ce soir me fait d'autant plus plaisir que nous commençons officiellement notre première année sans être dans le même établissement. Mon Université étant plus centrée sur les Arts et les sciences sociales, il n'y a pas de parcours médecine, et la sienne est à l'autre bout de la ville. Autant dire que nous nous verrons sûrement moins qu'avant, mais je suis content de voir que nous commençons le début d'année en trainant déjà ensemble en dehors des heures de cours.

Je le rejoins à notre bar habituel, qui est en plein centre ville. C'est un bar agréable parce qu'il n'y a pas trop de monde, mais il y en a assez pour ne pas s'ennuyer. Il s'appelle La Lunette, pour la lunette des toilettes, je pense. Ça nous a toujours fait mourir de rire, avec Jonas. Il est déjà là, quand j'arrive, d'ailleurs, accoudé au bar en train de loucher sur la paire de seins de la barman. Je me demande s'il changera un jour. Jonas est un playboy par excellence, mais il faut dire qu'il a le physique qui le lui permet. Grand, musclé (sans être bodybuildé), des cheveux blonds hirsutes, une barbe de trois jours qui se maintient très bien en place et qui, en plus, ne pique pas, des yeux couleurs noisettes qui pétillent tous le temps, et un sourire tombeur. Une gravure. Il peut avoir toutes les filles qu'il veut, et il ne se fait pas prier. Je ne l'ai jamais vu deux fois avec la même fille à son bras. Je me demande pourquoi il est comme ça, pourquoi il ne veut pas essayer de s'engager, au moins une fois dans sa vie. Le pire, c'est qu'il ne se montre pas réticent face à l'engagement, il n'exprime aucun dégoût sur le fait de rester toute sa vie avec la même fille. C'est même le premier à hurler de joie devant le romantisme dégoulinant de certains films. Peut-être est-ce simplement parce qu'il n'a pas encore trouver la bonne personne ?

Dès qu'il me voit arriver, c'est comme s'il sortait d'une séance d'hypnotisme avec une facilité déconcertante. Il a beau être obsédé par les femmes, il n'a pas de mal à refouler ses pulsions primaires pour ses amis. Il me serre brièvement contre lui dans une accolade purement viril avant d'attraper sur le bar une longue planche d'un mètre, contenant une dizaine de shooter.

Pour que tu m'aimes encoreWhere stories live. Discover now