42. sifflement

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J'ai toujours cru que, lorsque je serais au plus bas, tout mon monde deviendrait noir, sombre, obscur. Le noir est une couleur négative, une couleur sans vraiment en être une. Les couleurs sont chaudes, elles illuminent le monde, le transforment, lui donnent la vie. Le noir est la couleur de la mort, du deuil, de la souffrance. Pourtant, c'est faux.

J'ai ouvert les yeux, ce matin, après une nuit sans sommeil, et rien n'a changé. Mon monde s'est écroulé et il est toujours aussi coloré qu'avant. C'est peut-être ce qui m'a fait plus mal encore. A l'intérieur de moi, il y a ce mal être qui me ronge, mais à l'extérieur, tout est identique, tout est comme avant. Le soleil brille à l'extérieur, et toutes les couleurs avec lui. Elles sont toujours là, claires et nettes.

Le monde est toujours aussi beau qu'avant mais je n'ai pas envie de le contempler.

Je regarde le plafond, une couleur fade, d'un blanc délavé. Je ne suis pas chez moi, mais c'est à peine si je me souviens comment je suis arrivé ici. Pourtant, je n'ai pas bu tant que ça. Ma perte de mémoire n'a rien à voir avec l'alcool, mais avec le chagrin qui retourne mon estomac à chaque seconde. Cette nuit sans saveur n'a rien atténué des sentiments que j'ai éprouvés hier soir, alors qu'Eden m'a fait sortir de sa vie.

Je ne m'y connais pas vraiment en ruptures. Avant d'être avec Shelly, j'ai eu quelques copines, relations maladroites, avec lesquelles il suffisait de couper tout contact pendant plusieurs jours pour que le message soit passé. Des relations éphémères aux ruptures tout aussi insignifiantes.

J'ai parfois imaginé rompre, comme on imagine la façon dont on pourrait réagir face une épidémie zombie ou une rencontre avec son idole. Il y avait des cris, des larmes – pour ça, de mon côté, j'ai eu ma dose –, il y avait aussi de la colère, des excuses, des supplications, des explications. Et moi, tout ce que j'ai eu, c'est de la résignation, et de l'amour. Eden n'a jamais haussé le ton, et je me suis effondré. Il n'a pas crié pour me reprocher ce que je lui avais fait, il ne m'a pas craché sa haine alors que je l'ai déçu, je ne me suis pas excusé, je n'ai pas réussi à m'expliquer – il n'y a rien à expliquer – et je n'ai même pas réussi à le supplier de me garder. Eden m'a laissé partir parce qu'il ne pouvait plus attendre.

J'ai toujours imaginé une rupture provoquée par un manque d'amour. La nôtre, c'est tout le contraire, c'est parce qu'on s'aime trop, et qu'on a pas été à la hauteur. Parce que je n'ai pas été à la hauteur.

Je me redresse d'un coup, les poumons comme enserrés par un étaux. Je balance la couette sur le côté et je tente tant bien que mal de trouver une respiration normale, un appel d'air qui ne creuse pas un trou dans ma poitrine, et une expiration qui ne siffle pas entre mes dents.

La pièce dans laquelle je me trouve est vaste et lumineuse, même si les lumières sont encore éteintes, le maigre filet de lumière qui passe au travers des stores frappe les murs blancs et immaculés. Contre le pied du lit, un meuble fait toute sa longueur, et dessus est posé un écran plat, tourné vers moi. Derrière, je discerne les contours d'un canapé-lit qu'on a déplié et une table basse poussée sur le côté.

C'est l'appartement de Jonas. Je n'y suis venu qu'une fois depuis qu'il a emménagé, en début d'année. Bien sûr, ses parents ont l'argent pour lui payer un 40m2 dans un coin excentré de Paris (mais pas trop) et le studio dans lequel il habite contient tout ce qu'il faut pour vivre la belle vie, comme il le dit. La cuisine ouverte sur le salon trône près du couloir qui mène à l'entrée et la salle de bain, et la grande baie vitrée qui fait toute la longueur du mur donne sur un balcon tout aussi long, mais pas très large. L'appartement reflète assez son propriétaire, un savant mélange entre bazar contrôlé et une propreté stratégique. Ses collections de chaussettes dans un coin, une tasse cassée dans l'autre. Une pile de vêtement propre sur une chaise, des tonnes de manteaux en équilibre sur le dossier du fauteuil du bureau.

Pour que tu m'aimes encoreWhere stories live. Discover now