Pour que tu m'aimes encore

34. coincé

Il y a cette chose. Je l'ai cherchée pendant un long moment, j'ai cru qu'elle m'était refusée, j'ai pensé l'attraper, la garder, la chérir. Mais maintenant, je ne sais plus, je ne comprends plus. Pendant des années, je l'ai désespérément attendue. Elle n'était nulle part, ni en moi, ni en les personnes que je côtoyais. Je pensais pouvoir en faire preuve, envers les autres, envers moi-même, mais je voulais surtout recevoir. J'ai trouvé quelques lueurs par ci par là, jusqu'à la vivre. Je pensais la vivre.

J'ai ouvert la bouche, et il m'a dit de me taire. Il ne veut pas savoir, il n'a pas besoin d'une réponse.

Heureusement. Je n'avais pas de réponse à lui donner.

J'aime Shelly. Je l'ai toujours cru, et je le crois encore. Elle m'a apporté ce que j'ai cherché pendant toute mon enfance, avec crainte et envie. Et besoin, peut-être aussi. L'amour que je cherchais était devenu un besoin constant, viscéral, qui faisait battre maladivement mon cœur. Shelly m'a apporté l'antidote à un mal être qui me bouffait chaque jour un peu plus.

Et tout vient, non pas de voler en éclats, mais de se déformer. La chose que j'ai désiré et acquise est différente de tout ce que je ressens maintenant.

Pourtant, l'amour, c'est plus qu'un mot, c'est un sentiment. Outre le fait d'être capable de le nommer, je le ressens, en moi. Pourquoi ne suis-je plus capable de savoir ce que je ressens, maintenant ? C'était bien de l'amour, ça l'a toujours été. Alors, maintenant, ce qui me tiraille l'estomac, qu'est-ce que c'est ? Cette boule dans le ventre ne me quitte pas depuis que j'ai laissé Eden rejoindre ses amis une fois arrivé à la FAC, il y a de ça trois jours.

Trois jours ont passé et la boule dans mon ventre n'a fait que grossir.

- Ça va, Solly ?

- Laisse-le, il rêvasse... On est pas bien là, tous les deux ?

La question, aux lourds accents ironiques, de Jonas me fait tiquer, et je relève les yeux de mon téléphone, qui n'a pas émis un son depuis une demie heure déjà. Jonas s'est tourné vers Shelly pour lui offrir son plus beau sourire, mais quand on le connaît comme moi, on sait aussi qu'il est terriblement faux. Shelly lui sourit en retour, un véritable sourire – elle s'est faite avoir – et elle passe un bras autour de ses épaules.

- D'ailleurs, toi, c'est qui cette fille à qui tu textotes depuis tout à l'heure ?

Jonas détourne le regard en prenant un air grognon, cette fois, véritable, et qu'il ne cherche pas à cacher. Il donne un coup d'épaule pour que Shelly le lâche, chose qu'elle ne fait pas, et Jonas commence à vraiment tirer la tronche.

- Une fille de ma classe.

- Oh, une de plus que tu as fait craquer ? insiste Shelly. Elle est comment ? Te connaissant, elle doit avoir un fessier d'acier et des seins énormes !

Mon portable vibre entre mes mains, et je m'empresse de le lever devant mon visage, laissant Shelly et Jonas se chamailler sur la banquette face à moi. Les bruits de bar où nous nous sommes retrouvés ne couvrent pas leur discussion, mais le prénom qui s'est affiché sur l'écran de mon téléphone fait bourdonner mes oreilles. Un sentiment de culpabilité envahit mon sang et le fait monter à mon visage. J'ai de nombreuses fois conversé avec Eden par messages alors que je me trouvais avec Shelly ou Jonas, mais aujourd'hui, je ressens le besoin de me cacher.

Pas la peine de mentir, en réalité, je n'ai pas envie d'être ici. Je ne sais pas vraiment où j'aimerais être. J'aimerais avoir une toute différente vie, et voir disparaître tous mes problèmes d'un coup. Ils n'ont rien d'insurmontables, j'en ai conscience, mes problèmes sont bien loin d'être graves comparés à d'autres, mais ma lâcheté m'empêche d'agir. En réalité, mes problèmes, ils ne sont pas vraiment le fait que je mens à mon meilleur ami, que j'ai trompé ma copine que je pense aimer, que j'ai été incapable de répondre au garçon qui a dit m'aimer, que mes parents me détestent, et que ma meilleure amie soit malheureuse sans que je ne sois capable de lui remonter le moral. Non, mon véritable problème, c'est que je suis lâche et égoïste.