Chapitre 3 : La vision

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Mes paupières papillonnent un instant. Je suis fatiguée, tellement fatiguée...Retombant lourdement sur la couchette, je ferme les yeux.

J'aperçois un endroit familier, sans pour autant pouvoir dire quand et où je l'ai vu. Un village.

Il y a du sang sur les pavés, et j'ai beau chercher, je ne vois aucun villageois qui ne soit pas armé. Les hommes, les femmes, parfois enceintes, les grands-parents, les enfants. Tous portent un objet tranchant, ou assez lourd pour tuer quelqu'un d'un seul coup. Un énorme bruit retentit : le bras d'une statue de pierre vient de s'écrouler. La statue... une dame de pierre un peu bancale depuis la nuit des temps. Je sais quel est cet endroit. Le village. Celui que j'apercevais chaque matin depuis la fenêtre de ma chambre. Mon village.

Mais ce ne sont plus les rues enjouées des jours de printemps, c'est un champ de bataille désolé.

Les soldats se livrent à une bataille à mort contre le peuple. Un flot d'uniformes noirs se lance dans la masse de Valandiens révoltés. J'entends des cris déchaînés. Tout cela me paraît réel, beaucoup trop.

Je vois le palais. Toujours aussi haut et impressionnant, mais à son pied, des centaines de personnes tentent d'entrer. Je n'avais jamais vu une telle panique, un tel chaos. Tant de sang.

Puis un hurlement retentit, plus puissant, plus inspirant que tous les autres. Je frémis, agitée de tremblements. Cette voix... m'est si familière. La voix qui me contait des berceuses, me forçais à finir mes plats, la voix qui me rassurais, la voix qui m'encourageais. Enfin, parfois.

La voix de ma mère. Elle se bat.

Le cri venait de l'intérieur du château. Je me sens trop loin d'elle pour faire quoi que ce soit. Mais je sais que ma mère a cette force, qui s'exprime au combat autant que pour diriger des millions de gens. Qui que soit l'adversaire contre lequel elle se bat, elle vaincra.

Soudain les portes du balcon royal s'ouvrent dans un claquement, et un homme à l'effrayant masque blanc en sort. Il clame, fier :

- Le roi et la reine ne sont plus.

Le froid tombe sur moi et me serre comme un étau. Un frisson court le long de ma colonne. Peu importe, tout ça n'est qu'un stupide rêve...

Le silence retombe dans le village. Chacun affiche un visage consterné.

- Alors, qu'avez-vous ? ; continue l'homme d'un ton cruel.

- La princesse nous a trahit, pas eux ! Ils étaient bons ! Ils ne méritaient pas de mourir !

Une voix monte depuis le village, un jeune homme brandit un poing indigné. Des clameurs surgissent d'un peu partout. L'homme masqué lève la main et trois soldats descendent dans la foule pour prendre le villageois révolté. Des jurons sont clamés par les Valandiens, qui traitent les soldats de traîtres, les noient sous les injures. Pour toutes réponses, ils poussent le jeune garçon à terre, tandis que celui dont on ne voit pas le visage reprend la parole :

- Désormais, je suis celui qui dirigera tous vos gestes, tous vos mots. Vous me respecterez. Je suis le nouveau souverain de Valandia, et quiconque se dressera contre moi subira son sort. Je suis le Maître.

D'une main solennelle, il pointe l'homme agenouillé devant lui, le seul homme qui a eu le courage de mettre des mots sur le meurtre du couple royal. Une expression horrifiée a juste le temps de passer sur son visage avant que je n'entende un bruit sourd, et que je vois son corps s'écrouler sur le sol poussiéreux. Sa tête roule et s'immobilise dans une mare de sang. Un homme est mort, un homme a été décapité juste pour avoir dit la vérité.

Valandia. T1_MauditeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant