Chapitre 6 : Awena. Partie 3.

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- Isis... Je... oui.

- Peux-tu me dire... comment ils l'ont tuée ?

J'essuie mes mains moites sur ma tenue.

- Ca ne te fera que du mal, Isis...

- Je dois savoir.

Ses poings serrés l'approuvent, et ses larmes aussi.

- Je... j'étais seule dans la bibliothèque du palais, quand mon fiancé, Alexandre, était arrivé. Il était survolté, je ne l'avais pas vu comme ça depuis longtemps, très longtemps. Ses yeux brillaient de joie, tandis qu'il m'a prise dans ses bras en répétant une unique phrase :

- Père a capturé un Méridian ! Un Méridian !

Sa joie n'était pas humaine. Pourtant, je m'étais forcée à sourire. On m'entraînait à faire semblant depuis toute petite. Il m'avait proposé d'aller voir « le monstre », comme il l'appelait. Comme tout le monde l'appelait. J'avais d'abord refusé, mais il avait tant et tant insisté que j'avais fini par accepter. Sur le chemin des cachots, il était emballé, comme tout le monde dans le château. Et moi ? Moi j'avais juste peur. Pour moi ou pour ce prisonnier, je n'aurais su le dire.

Pourtant, au fond de moi, je voulais voir à quoi ressemblait le prisonnier. Beaucoup disaient que les Méridians étaient horribles, avec des yeux rouges et des dents acérées. Tous ceux qui disaient ça n'en avait jamais vu un seul, évidemment. Mais les rumeurs sont tenaces.
- Il paraît que c'est une femelle ! Les informations sont gardée secrètes actuellement, mais j'ai pu avoir celle-ci par mon père !

Ce n'est que quand un des soldats est passé près de nous et a déclaré d'un ton joyeux que l'exécution aurait lieu dans quelques minutes que j'avais lâché la main de mon fiancé et couru vers ma chambre. J'avais bien entendu ces gens qui m'appelaient. J'avais bien entendu ces pas qui me suivaient. Mais j'avais continué.

J'avais claqué dans mon dos la lourde porte en métal qui clôturait ma chambre. J'étais bien plus secouée que je ne voulais l'avouer. C'était la première fois depuis ma naissance qu'une Méridianne était capturée et j'avais peur de son sort. Je savais qu'ils l'exposaient aux passants comme un animal de foire. Je savais que pour eux elle n'était qu'une vermine. Je savais qu'ils allaient la tuer. J'étais restée cloîtrée dans ma chambre durant de longues heures. Quand j'en étais sortie, une incroyable agitation régnait entre les murs du palais. Mes yeux étaient encore rouges de larmes, et j'entendais bien tous ces chuchotements sur mon passage. Mes parents n'avaient rien fait pour empêcher ça. Il n'y avait personne pour comprendre mes pleurs. Pour tous ces gens j'étais stupide, faible ou encore inconsciente. Pour tous ces gens je ne méritais pas le trône.

Quiconque pleurait pour un Méridian était digne de ces adjectifs, pour eux. Mais je ne pouvais pas leurs en vouloir. Ils avaient été élevés avec ces légendes qui contaient à quel point les Méridians étaient vicieux, cruels et sanguinaires. J'y avais cru, moi aussi. Puis j'avais décidé, grâce à quelqu'un, que c'était juste des gens qui, à cause de leur bénédiction, faisaient peur aux autres.

Je m'étais arrêtée subitement au milieu du hall. Ils n'avaient pas osé... Si. Ils avaient laissé le corps. A la vue de tous.

Contrairement aux pauvres gars qui travaillaient comme soldats pour gagner de quoi nourrir leurs familles ou par conviction, certains généraux, eux, prenaient un malin plaisir à exercer leur pouvoir, et je savais que mes parents ne les auraient pas contredits. Des lâches. Pourtant rien, non rien n'aurait pu expliquer cette jeune fille rousse accroché à un poteau, dans la cour. Morte.

Pour la seconde fois de la journée, j'étais partie en courant, mais cette fois les larmes me brouillaient la vue. Rien n'aurait pu me faire oublier ce que j'avais vu. Ces yeux blancs, inexpressifs. Ce visage tordu de terreur. Ce sang dans ces cheveux roux. Et... cette flèche. Dans son crâne.

Je me tais à la fin de mon récit. Je ne voulais pas lui dire ce qu'il avait fait de sa sœur. Je me suis fait attrapée par le besoin d'en parler. Et j'en suis tellement désolée. Parler de ces souvenirs m'affecte, je m'en rends compte en portant une main à mes joues couvertes d'eau.
- Merci...

Le sourire rassurant d'Isis contraste avec ses sanglots qu'elle tente de cacher. Elle avait besoin de savoir, j'en suis certaine maintenant.

- Je suis désolée d'avoir fait remonter tes souvenirs. Mais je te serai toujours reconnaissante de ce que tu m'as appris aujourd'hui. Une flèche dans la tête... Elle n'a pas dû souffrir très longtemps. Sais-tu... Ce qu'ils ont fait... de son corps ?

- J'a... j'avais un ami, à cette époque, qui décidé de l'enterrer aux abords de la forêt, sans prévenir personne. Nous étions les seuls à savoir.

- Elle a été enterrée... Pourrais-tu... peut-être plus tard... me montrer l'endroit ?

Je hoche lentement la tête.

Subitement, elle me sert dans ses bras. Je lui rends son étreinte, ayant besoin autant qu'elle de réconfort.

Nous passons quelques instants comme ça, le temps que nos larmes disparaissent. Puis je m'allonge à côté d'elle, et nous nous endormons.

Puis les jours, les semaines ont passé, nous n'avons plus parlé de l'histoire d'Awena. Je pense que nous n'en parlerons jamais.

Valandia. T1_MauditeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant