Chapitre 6 : Awena. Partie 2.

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Elle avait quatorze ans. Nous étions proches, comme de véritables sœurs. J'avais toujours pris soin d'elle plus que nécessaire, je me sentais responsable d'elle. La petite tornade rousse avait bien évoluée depuis le jour où je l'avais sauvée des soldats. Elle aussi nous avait sauvés de nombreuses fois, quand ses visions lui indiquaient une attaque.

Elle était précieuse. C'était une de ces personnes qui pouvait vous faire sourire quand vous pleuriez, qui répandait sa joie de vivre partout. Mais un jour nous étions parties chasser, toutes les deux. Nous nous étions peut-être trop éloignées du campement. Nous n'avions peut-être pas été assez attentives. Pourtant, personne n'aurait pu prévoir ce qui est arrivé.

Awena suivait simplement ce lapin, et elle s'était éloignée dans les fourrés. Elle était très agile et déterminée, et je savais que bientôt nous aurions notre repas. J'étais restée immobile, attendant son retour. Mais elle n'était jamais revenue.

Je commençais à m'inquiéter quand j'avais entendu ce hurlement. Cette voix. Je m'étais redressée et j'avais couru en direction du cri. Les arbres me fouettaient, les branches me lacéraient la peau, mais rien n'aurait pu m'arrêter. Et j'étais arrivée dans une clairière : une centaine de soldats.

Une jeune fille rousse qui se débattait. Du sang sur l'herbe.
J'avais compris en quelques secondes : elle avait été capturée.

Pour la première fois depuis des années, je les avais appelés, pour qu'ils se battent à mes côtés : les ours, les loups, les sangliers. Je savais que je n'y arriverais pas seule. Que je ne pourrais pas libérer Awena. Ils étaient mon seul espoir.

Pendant que les soldats lançaient leur assaut sur moi, des rugissements sortirent de partout autour de nous. La bataille pouvait commencer.

Laissant mes alliés se charger des soldats, je me précipitais vers ma sœur. Son visage relevé vers moi présentait des traces de lutte qui m'avait broyé le cœur : mâchoire colorée de bleu, nez cassé, sang sur les joues.

Pourtant ses yeux luisaient d'un espoir nouveau. Son sourire. Mon nom :

- Isis...

Elle pouvait s'en sortir, je pouvais la sauver. L'histoire en a décidé autrement. Ce soldat en a décidé autrement.

Je tendais déjà les mains vers ma sœur quand l'épée de l'homme m'a traversée de part en part. La douleur se répandait depuis mes flancs. Ma tête bourdonnait sous la souffrance, ma chair était arrachée, le sang jaillissait à flot. Mais ce n'était pas ça le plus douloureux. Le plus douloureux, c'était de voir les animaux tomber, comme moi ; c'était de voir les soldats rire et crier de victoire ; c'était de voir Awena hurler mon nom, tandis que les soldats l'emportait loin, si loin de moi.

La brume qui enveloppait mon esprit avait laissé place au silence le plus total, au noir le plus complet : j'avais perdu connaissance.

Quand je m'étais réveillée, Lory était penchée sur moi. Une douleur incroyable m'avait alors assaillit. Pas à cause de mes flancs.

A cause de ses larmes.

Pour la première fois depuis que je la connaissais, Lory pleurait. Et cela ne pouvait signifier qu'une seule chose :

- Dis-moi... qu'elle...

Ma voix s'était éteinte dans un sanglot.

- Je suis désolée... Quand nous avons retrouvé votre trace, il était trop tard. Au village, ils venaient de... l'exécuter...

Une plainte. Un hurlement. Voilà tout ce dont j'avais été capable ce jour-là. Ma voix déchirée résonnait dans la forêt tandis que, partout, les animaux reprenaient sa triste mélodie. Oren était venu appuyer sa main sur mon épaule, mais les larmes avaient déjà franchi les barrières de ses yeux. Nous avions mal, si mal...

Cette souffrance ne nous a plus jamais quittés. Elia était devenue complètement folle. Elle a détruit tout les alentours. Son visage était tordu dans une expression de rage, de supplice. Elle avait tourné ses yeux rouges vers nous :

- Ils paieront ! Ils crèveront tous ! Je les tuerai de mes propres mains ! Nous les avions toujours épargnés, et aujourd'hui...aujourd'hui ils nous enlèvent un membre de notre famille ! Ils ne méritent même pas de l'avoir approchée ! Elle était pure, et... et si innocente ! Elle n'avait jamais tué, ce n'était qu'une enfant ! Alors qu'eux sont des... des monstres sans cœur ! Je le jure, n'importe quel soldat qui osera nous approcher mourra ! Ce supplice que nous vivons, ils l'endureront aussi ! Je ne les laisserai pas nous prendre quelqu'un d'autre !

Seuls nos sanglots avaient répondu à ses mots, mais nous pensions tous la même chose qu'elle.
Je ne sais pas pourquoi ils ne m'avaient pas emmenée avec eux. Sûrement parce qu'ils me croyaient morte. Une Méridianne morte est comme une humaine morte pour eux. Ils ne peuvent pas prouver que j'ai des pouvoirs, donc pas de prime.

Je savais qu'Awena était connue des soldats. La légende de la Méridianne aux yeux blancs circulait partout dans le village depuis des années. Quiconque l'aurait croisée aurait deviné immédiatement qui elle était. Elle était en bien plus grand danger que n'importe lequel d'entre nous.

Pourtant, si seulement ils avaient pu me prendre à sa place... si seulement j'avais pu échanger ma vie contre la sienne, je l'aurais fait. Elle ne méritait pas cette mort. Elle n'en méritait aucune. Elle était Awena, l'élue d'Elisandre.

La voix d'Isis se perd dans les buissons, tandis que ses yeux se voilent de tristesse. Elle tourne la tête pour que je ne la voie pas essuyer ses yeux. Elle est profondément marquée par son passé. Comme si elle portait chaque jour un poids un peu plus lourd. Mais quand elle retourne la tête vers moi, les larmes coulent pour de bon. Mais je vois autre chose sur son visage...

De la rage :

- Jade. Tu étais encore au château à cette époque...

Je comprends vite, bien trop vite, où elle veut en venir.

- Tu as dû la voir mourir. Les exécutions sont des divertissements de là où tu viens, non ?

Jeréalise alors quelque chose d'horrible, de paralysant. Elle a raison.     

Valandia. T1_MauditeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant