Chapitre 6 : Awena. Partie 1.

1.2K 151 15
                                    

- Je... comprends. Je suis désolée...

- Jade. Es-tu prête à entendre son histoire ?

Je sursaute à sa demande :

- Mais pourquoi ?

- Tu nous considéreras comme des tueurs tant que tu n'auras pas compris comment nous traitent les gens, tant que tu n'auras pas compris la vie des Méridians.

- Isis, je... je ne peux pas. Ça ferait remonter trop de souvenirs pour toi.

- Jade. Je le vois, je le vois dans tes yeux que tu te demandes toujours pourquoi nous ne les laissons pas vivre, pourquoi nous nous comportons comme des monstres. Alors oui, les souvenirs me feront mal. Mais... nous sommes des monstres à tes yeux. Je ne veux pas que tu me regarde comme un monstre.

- D'accord.

Elle prend une longue inspiration puis braque ses yeux dans les miens :

- J'avais dix ans, lorsque, lors d'une de mes chasses dans la forêt, j'ai entendu des pas précipités. Méfiante, je m'étais accroupie derrière un buisson. A cette époque, je savais déjà me battre, mais si c'était des soldats, je risquais ma vie en restant sur leur chemin. Alors je m'étais cachée. Au bout de quelques secondes, la personne qui faisait tout ce raffut avait débarqué. C'était une petite fille, les joues baignées de larmes et les cheveux roux flamboyants, qui se précipitait entre les arbres, trébuchant dans les racines. Alors que je me relevais pour la suivre, d'autres pas se sont fait entendre. Plus lourds, plus rapides, plus méthodiques. Les soldats. Leurs grosses voix ne m'impressionnaient plus, pourtant leurs paroles m'ont fait glisser un frisson dans le dos :

- La gamine est là-bas ! Dépêchez-vous, bandes d'incapables ! C'est une Méridianne ! Sa capture nous rapporterait des millions, les honneurs et la gloire !

Un cri de guerre retentit alors, poussé par plusieurs voix enjouées. N'importe quelle enfant normale aurait fui pour s'éloigner des soldats. Mais je n'étais pas une enfant normale, j'étais une enfant Méridianne. J'ai décidé d'aider cette petite rousse. Pas seulement parce qu'elle était comme moi. Mais parce qu'elle en avait besoin. Alors j'ai couru, je filais comme le vent entre les buissons. Les soldats étaient encombrés de leurs armures, et ne connaissaient pas cette forêt qui était ma maison. Je n'ai pas mis très longtemps avant de retrouver la fillette, pliée en deux entre les arbres, tentant de reprendre son souffle :

- Tout va bien ?

Elle a sursauté et a reculé précipitamment, mais je l'ai rattrapée par le bras. Alors elle a tourné sa tête vers moi et a plongé ses yeux dans les miens. Ses yeux étaient blancs. D'un blanc parfait, opalins. Ils étaient purs, seules deux petites pupilles argentées brillaient en leurs centres. Ses yeux étaient envoûtants et menaçants à la fois. Mais surtout, ils étaient plein de larmes :
- Laisse-moi ! Ils vont me rattraper !

Elle hurlait presque, se débattant de toutes ses forces, tandis que des perles de sel coulaient de ses yeux si mystérieux.

- Calme-toi. Je suis de ton côté. Je suis comme toi.

Elle avait cessé tout mouvement :

- Ils te poursuivent aussi ?

- Non. Moi, je vis dans la forêt, j'habite avec d'autres gens comme nous. Des gens qui acceptent les Méridians. Tu pourrais venir avec nous.

- Je... je ne peux pas... Il y a toute ma famille, là-bas, au... village.

Elle avait pointé de ses petits doigts potelés la direction du village le plus proche. Cela m'avait frappée. Elle n'avait pas compris. Elle n'avait pas compris que plus jamais ça ne serait son foyer, que les gens là-bas ne voulaient plus d'elle.

Valandia. T1_MauditeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant