Chapitre 3 / Les trois amies

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Lupita s'affala sur son canapé en soufflant. Elle abandonna son sac près d'elle pour accueillir la joie affectueuse de son petit chien, qui lui sauta sur les genoux en frétillant de la queue. Pop-corn était un digne représentant de son espèce. Bâtard croisé bichon maltais, sauvé du refuge par Lupita quand elle y travaillait bénévolement -mais c'était dans une autre vie. Quand elle était encore une adolescente-, il était reconnaissant et affectueux.

Il n'aboyait jamais, sauf cas de force majeur, comme par exemple quand un type avait tenté de forcer la serrure de l'appart d'en face, sur le palier. Après l'évènement désagréable, la locataire qui venait d'emménager, s'était aussitôt prise d'amitié pour le chien et sa maîtresse. Aïko Chapelier, 25 ans, deux ans de plus que Lupita, malgré sa propension au silence prolongé et plombant, était ainsi devenue quelqu'un sur qui compter, avant de devenir finalement une amie tout court.

Pour Lupita, la jeune femme était un être fascinant. Sans parler de ses fringues incroyables, Aïko portait un amour sans limite à la couleur noire, et suivait un rythme de vie à part. Quand elle n'avait pas de job sérieux – ce qui arrivait de temps à autre -, elle vivait la nuit et dormait une bonne partie de la journée. Lupita avait mis du temps à comprendre la raison de cette étrange habitude.

Sa jeune voisine avait une passion des plus exigeantes : photographier, le plus souvent de nuit, les endroits abandonnés, isolés ou simplement déserts. Ça donnait des photographies incroyables, il fallait bien le reconnaître, mais cela demandait aussi de subir la contrainte de la solitude et du danger. Ce qui ne semblait pas du tout perturber l'intéressée.

S'étant amourachée de Pop-corn, Aïko avait décidé de lui tenir compagnie quand Lupita était absente dans la journée. Ainsi, le chien ne manquait jamais de promenade, ni de caresses. Pourtant, il en demandait toujours plus, dès que sa maîtresse mettait un pied dans son appartement. C'était la conséquence de l'affection qu'ils se portaient l'un à l'autre.

— Tu veux sortir, hein ? Aïko n'est pas venue aujourd'hui ? Hum... Pourtant, j'ai des preuves notables de son passage. Un pot de yaourt abandonné sur la table de la cuisine, et sans doute, plus aucun gâteau au chocolat dans le placard... Tu es donc déjà sorti, petit fripon ! Mais tu as raison, même si je suis claquée, ça ne me fera pas de mal de sortir te promener.

***

Le chien tournait autour du poteau couronné d'un stop aussi neuf que rutilant. Aux vues des taches sombres qui auréolaient le trottoir, l'objet avait déjà été baptisé par tous les chiens du quartier. Lupita laissa Pop-corn faire son affaire. Elle savait que l'urine des chiens étaient un moyen pour eux de communiquer sans se voir. C'était des « youhou, les copains, je suis encore là. », des marqueurs de présences essentiels à leur vie sociale presque inexistante.

Le regard de Lupita croisa son reflet dans la vitrine d'un magasin de vêtements. Aussitôt, elle repensa à ce qu'avait dit cette vieille bique de Mme Almedi : « si j'avais été même moitié moins jolie que vous... ». Lupita ne se trouvait pas particulièrement jolie. Elle était comme son chien : un mélange harmonieux de deux entités bien distinctes. Néanmoins, elle ne pouvait nier qu'elle devait beaucoup à sa mère : Sa petite taille ; son visage aux traits délicats avec des lèvres charnues d'un rouge sombre, et des cheveux noirs et épais.

De son père, elle avait les yeux verts, et la silhouette athlétique, qu'elle jugeait sans particularité, avec des fesses et des seins là où tout le monde en avait. Et puis, il y avait sa peau de couleur indéfinissable. Plus chocolat au lait que celle de son père, qui était d'origine afro-américaine, mais moins chocolat-caramel que celle de sa mère, qui avait des origines mexicaines.

Alors, certes, elle n'était pas moche, mais elle n'aurait pas dit « jolie », non plus. Pas par fausse modestie, mais parce qu'elle n'y avait plus pensé depuis longtemps. Lupita avait d'autres préoccupations que son apparence. Ces vêtements en témoignaient pour elle. Toujours vêtue de jeans ou de pantalons en toile pourvus de multiples poches, de tee-shirt unicolor et de sweat à capuches, elle ne faisait aucun effort pour attirer l'œil. Ça n'était pas son truc, voilà tout.

Enfin, à part, quand elle dansait. Parce que Lupita avait deux passions dans la vie, l'informatique, et la danse. Or, quand elle dansait, elle était capable de porter les tenues les plus improbables : comme ce costume de cheerleader qu'une de ses cousines américaines lui avait envoyé l'an passé, ou cette robe vintage faite pour danser le rockabilly, qu'elle avait dégoté dans les affaires de sa grand-mère paternelle.

Pop-corn se mit à tirer sur sa laisse, montrant de ce fait, qu'il fallait bouger pour qu'il finisse son tour. Lupita obéit sans rechigner jusqu'à ce qu'une petite bruine vienne perturber la promenade. Le chien détestait la pluie. Il se mit à accélérer pour rentrer, obligeant sa maîtresse à finir le chemin au pas de course.

— Hey ! Lupe ! Ça va ? s'exclama une jeune femme qui arrivait en courant dans le sens inverse.

Emmanuelle connaissait Lupita depuis le lycée. Elle habitait dans une chambre de bonne mal isolée, dans un immeuble non loin de celui de son amie, et tentait de finir ses études pour devenir enseignante. Ce qui n'était pas chose facile étant donné qu'elle avait des moyens financiers limités. Elle jonglait entre les cours et les petits boulots.

Toutefois, rien n'aurait pu l'empêcher de s'adonner à ce qui la motivait à se lever tous les matins : faire du sport. Toutes sortes de sports. Elle s'était inscrite à une salle de gym voisine, dont elle avait amorti depuis longtemps le prix exorbitant. C'était le seul luxe qu'elle se permettait.

Avec sa chevelure châtain, son teint pâle et ses yeux marrons, la jeune femme aurait pu se fondre dans la foule sans problème, si elle n'avait eu ce corps aux proportions parfaites qu'elle n'hésitait jamais à mettre en avant. Corps qui, en général, fascinait les hommes, et que beaucoup de femmes lui enviaient.

En tenue de sport classique – baskets rose fluo, short noir sur des leggings de la même couleur, et haut à bretelles extra collant assorti aux chaussures –, Emmanuelle courait comme si la pluie ne tombait pas, et souriait.

— Emma ! Mais tu es complètement barrée ! T'as pas vu le temps qu'il fait ! s'exclama Lupita en ouvrant la porte du hall de l'immeuble. Allez ! Viens ! Tu vas attraper la crève ! Je vais te faire un chocolat chaud !

— C'est pas de refus ! Ce qui tombe est particulièrement désagréable ! Pas assez fort pour se dénommer pluie, et trop insidieux pour se faire oublier.

— Dis la fausse bretonne, en connaisseuse...

Emmanuelle sourit, parce qu'à part son nom de famille, Trévenec, elle n'avait aucun lien avec la Bretagne. Ses parents, grands-parents, cousins, et autres, résidaient tous dans le nord. Pas un seul breton dans cette famille, de mémoire de Trévenec !

— Tu ne devineras jamais ce qui m'est arrivé aujourd'hui ! s'exclama Lupita en ouvrant la porte de l'ascenseur pour rejoindre son cinquième étage.

— Tu me raconteras en haut, dit alors Emmanuelle en s'élançant dans les escaliers. Je suis sûre d'arriver avant toi !

Lupita n'aurait pas parié le contraire tant elle savait que l'antique cabine du vieil ascenseur, était poussive et lente.

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