Chapitre 42 / Faire la gueule

500 86 19
                                    

Discuter avec son frère avait fait du bien à Darius. Il se sentait mieux, sachant que Magnus couvrirait ses arrières tant qu'il le pourrait. Et aussi parce qu'il lui avait tout avoué, y compris ses conneries et son manque de jugeote. Il n'était jamais facile d'avouer ses faiblesses à quelqu'un d'autre, mais cette difficulté s'estompait quand la relation entre les deux personnes était saine. C'était le cas entre Magnus et Darius.

Il n'y avait jamais eu entre les deux frères aucune rivalité. Il y avait trop de ressemblances et trop de différences entre eux. Darius n'avait jamais douté du fait que la tête de l'entreprise reviendrait un jour à son ainé. Il s'était juste attendu à ce que cela arrive bien plus tard, quand Elektra aurait été assez compétente pour le seconder, et que Jung aurait pu prendre la place qui lui revenait.

Il n'avait jamais jalousé la place de premier enfant et d'héritier attitré, car sa position à lui, lui avait laissé une certaine liberté qu'il avait su apprécier. Quant à Magnus, à sa connaissance, il n'avait jamais voulu autre chose que ce qu'il avait : marcher dans les pas de son père et lui faire honneur en poursuivant son travail.

Chacun des enfants Ryker connaissait l'histoire du destin contrarié de l'homme de loi qu'Alexander aurait voulu être. Pourtant, chacun savait également que leur père avait su s'accomplir sur le chemin tracé par un autre. Parce qu'Alexander Ryker était comme ça. C'était un homme qui savait trouver sa voie, même quand on le contraignait. À eux de tenter de faire de même.

Darius savait qu'il en était capable. Il s'agissait maintenant de cesser de vivre dans le regret et de redevenir efficace. Il ne pouvait plus se permettre de faire un faux pas désormais.

***

Il préparait le café quand Jung arriva. Seul.

— Où est Mlle Jones ?

— Elle a décidé qu'elle ne viendrait pas. Elle estime avoir fait sa part. Le plan a échoué comme elle l'avait prédit, et tu as prévu de la virer alors que tu l'avais assurée du contraire. Elle pense avoir le droit de te dire « merde ». Elle est donc chez elle et elle joue. Elle a remballé tous les vêtements achetés le week-end dernier, dont elle avait, je cite « heureusement, laissé les étiquettes et gardé les tickets ». Elle compte les rendre le plus tôt possible. Elle garde ce qu'elle a porté. Ah ! Et elle te rend ça, finit-il en posant une bague sur le comptoir de la cuisine.

Jung fixait Darius avec un large sourire, comme si la petite crise de Lupita n'avait pas grande importance.

— Pourquoi tu souris comme ça ! Tout ça n'a rien d'amusant, bordel !

— J'aurais cru que c'était ce que tu voulais. Maintenant que tu es en froid avec Deimos, il ne va plus te contraindre à te marier. Donc, plus besoin de jouer la comédie.

— C'est plus compliqué que ça.

— Comment ça ?

Darius se mit à expliquer la teneur de la conversation qu'il avait eu avec Magnus le matin même. Il en profita pour boire un café. Il allait en avoir besoin pour la suite. Parce que, c'était bien connu : « si la montagne ne vient pas à toi, va à la montagne ! ».Lupita étant, dans son cas, cette foutue montagne inébranlable...

— Ah ! Ça complique les choses. Moi qui pensais que tout était réglé.

— Je vais aller m'excuser et lui expliquer la suite du plan la concernant.

— Pas sûr qu'elle t'ouvre. Moi, elle m'a laissé sur le palier. Autant te dire que les voisins pensent que tu es un sale con qui brise le cœur de Mlle Jones. Et qu'ils sont de son côté. Quand je suis descendu, il y avait une famille entière sur le pas de la porte qui m'a fixé méchamment. Et je ne parle pas de la gothique sur le même palier, qui aurait pu me trucider avec son regard si elle en avait eu le pouvoir.

***

Lupita ne décolérait pas depuis la veille. Et pas seulement parce que Ryker avait dit qu'il la virait. Elle avait été blessée par le comportement des deux hommes. Le mépris exprimé par le grand-père et l'attitude paternaliste du petit-fils, l'avaient rendu dingue. C'était comme lorsqu'elle était enfant et qu'elle n'avait pas voix au chapitre avec sa mère. C'était exactement ça, elle avait été infantilisée et rabaissée, et elle trouvait ça insupportable.

Pour se changer les idées et se retenir d'aller mettre le feu à l'appartement de Ryker, la veille, elle s'était jetée à corps perdu dans son jeu en ligne. Elle avait réussi plusieurs missions qu'en temps normal, elle aurait eu du mal à finir, mais ses amis avaient dû lui dire de se calmer tellement elle avait la rage. Délaissant son PC, qui de toute façon avait trop chauffé pour survivre à une campagne supplémentaire, elle s'était allongée sur son matelas. Elle pensait ne pas réussir à dormir, mais la fatigue physique et nerveuse avait eu raison d'elle. Seul bémol, son sommeil avait été si agité qu'elle avait l'impression d'avoir passé une nuit blanche. Cela l'avait mis en rogne dès l'aube.

Elle avait alors décidé de rendre tous ce qui avait été acheté pendant la virée shopping du week-end précédent. Emmanuelle avait tout disposé sur un portant qui, habituellement, exposait ses hoodies. Les vestes, qui avaient été entassées temporairement sur une chaise de la cuisine, avaient donc retrouvé leur place initiale, tandis que les nouveautés avaient été remballées dans les sacs d'origine que Lupita avait eu la bonne idée de conserver. Un pressentiment des malheurs à venir peut-être ?

Le seul regret de Lupita concernait la robe de soirée. Elle avait vraiment flashé dessus, mais elle n'avait pas les moyens de la rembourser à Ryker. Parce qu'une chose était sûre, elle ne voulait rien lui devoir à cet enfoiré !

Puis Jung était arrivé alors qu'elle était encore en pyjama, coiffée comme l'as de pique – De rage, la veille, elle s'était acharnée à défaire la magnifique coiffure réalisée par Santina -, et toujours d'humeur massacrante. Il en avait eu pour son argent, l'imbécile.

Une fois l'importun renvoyé, elle s'était douchée, puis avait entrepris de faire le grand ménage à la grande joie de Pop-corn qui adorait jouer avec l'aspirateur. Lupita retrouva un semblant de sourire en le voyant faire semblant d'avoir peur, s'enfuir, puis revenir aussitôt pour se mettre devant l'engin rugissant.

Elle venait de terminer et s'apprêtait à empoigner la laisse du chien pour lui faire faire une longue promenade. C'était le privilège du dimanche pour l'animal. Elle savait qu'il attendait ça toute la semaine. Ils allaient flâner jusque sur les quais. Mais elle fut arrêtée dans son geste par un toquement intempestif sur sa porte.


Si c'était encore l'assistant de Ryker, elle ne répondait de rien. Encore un peu échevelée, malgré le shampoing et la queue de cheval, et sourcil froncé, elle ouvrit en grand le battant... pour se retrouver face à Ryker lui-même, l'air surpris et embarrassé, tenant une assiette de beignets de crevettes ! Du coin de l'œil, Lupita vit le petit sourire de Roméo qui descendait vers l'étage du dessous. Sans se démonter, Lupita empoigna l'assiette et referma la porte, laissant son patron sur le seuil comme un con qu'il était.

Tout sur LupitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant