Chapitre 8 / Plonger dans le passé et s'en échapper

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Lupita ouvrit la porte de sa chambre d'ado et en goûta immédiatement l'atmosphère. C'était ici qu'elle s'était construite, en dépit des remarques acerbes et de la sévérité de Mercedes, et malgré l'absence de son père aussi. Elle embrassa sa chambre du regard en soupirant. Rien n'avait changé.

Mercedes n'était pas le genre de mère à transformer la chambre de ses enfants en salle de yoga ou de gym, ni en atelier. Elle ne pratiquait aucun sport et n'avait aucune fibre créatrice. Son seul hobby était de faire des mots croisés complexes et de résoudre des problèmes de maths. De temps à autre, elle allait jouer aux échecs avec un ami. Son appartement, malgré la lumière qui y entrait généreusement, était à son image : froid et fonctionnel. La chambre de Lupita demeurait donc fermée en son absence.

La pièce était petite et étroite. Les rares bout de murs disponibles, étaient recouverts de posters de jeux vidéo ou d'anime. Le lit avait été disposé en hauteur, sur une structure en bois qui permettait de placer un bureau dessous. L'espace était parfaitement rangé.

Lupita aimait que les choses soient à leur place, comme sa mère. Mais contrairement à cette dernière, elle aimait la couleur et le foisonnement. Dans son appart parisien, si son bureau et son lit étaient au carré, tout le reste de l'espace débordait. À croire que les objets, chez elle, étaient tous dotés d'une vie propre. C'était perturbant, mais elle aimait ça aussi. Son père s'en amusait en disant qu'elle était la parfaite combinaison des deux caractères parentaux, car si Mercedes était rigoureuse en tout, Bruce était bordélique au possible. D'où leur incompatibilité peut-être ?

Lupita ouvrit le seul placard de la chambre. À droite, la penderie vide ou presque. Une vieille veste en jean recouverte d'écussons, attendait patiemment le retour de la mode pour être dépoussiérée, tandis qu'un ciré jaune soleil ne se faisait sans doute pas d'illusion sur sa potentielle utilité dans le futur. À leurs pieds, quelques boites où dormaient les vestiges des passions enfantines de Lupita : figurines en caoutchouc, toupies démontables, Lego et cartes en tout genre.

À gauche, en revanche, les étagères ployaient sous la passion sans cesse renouvelée de la jeune femme. Sur la plus haute, les vieilles consoles et les jeux qu'elle avait eus avec. Juste en dessous, quelques boites de composants électroniques. Ce que cherchait Lupita se trouvait sur l'étagère suivante. Un PC portable qu'elle avait entièrement configuré et remanié seule. Pas aussi puissant, ni sécurisé, que celui qu'elle utilisait habituellement, mais avec quelques ajustements, elle en ferait une bête de concours.

— Qu'est-ce que tu vas faire avec ce vieux truc ? demanda sa mère qui était réapparue après avoir préparé un café dans la cuisine. Elle entendit une tasse à sa fille qui sortait le PC du placard.

— Merci maman... J'en ai besoin pour un job particulier.

— Hum... bien, bien...Je vois... Je sais que tu es très occupée, mais, tu crois que tu aurais du temps à me consacrer la semaine prochaine ?

— Je ne sais pas. Pourquoi ?

— Je me disais que nous aurions pu faire les boutiques...

Lupita leva un sourcil interrogateur. S'il y avait bien une chose qu'elle n'avait jamais fait avec sa mère, c'était bien les boutiques. Pour Mercedes, le shopping se résumait à aller dans le même magasin depuis 20 ans et à acheter sensiblement les mêmes vêtements que d'habitude. D'où le tailleur strict... immuable.

— Pardon ?

— Quoi ? Je n'ai pas le droit de faire les boutiques avec ma fille ? Ça serait l'occasion de discuter plus légèrement, de...

— Ça n'est pas que tu n'as pas le droit. C'est plutôt que ça n'est jamais arrivé avant. C'est quoi l'entourloupe ?

— Il n'y a pas d'entourloupe.

— Maman ?!

— Nous sommes invitées à un mariage, finit par avouer la mère en soupirant de dépit d'avoir été découverte aussi facilement.

— Toutes les deux ?

— Toutes les deux.

— Dis-moi qu'il ne s'agit pas de Jeremy Ducastel.

— Justement...

— C'est hors de question !

— Ce que tu peux être rancunière et têtue !

—C'est toi qui me dis ça ?! J'y crois pas ! Maman !

— Quoi !

— Je te dirais bien que j'ai de qui tenir !

— Je ne suis ni rancunière, ni têtue !

— C'est sûr ! Pourtant à chaque fois que je te vois, je peux être sûre que Jeremy sera évoqué au moins une fois !

— Et alors ! Est-ce que c'est de ma faute s'il est professeur dans un établissement du quartier, et que je le rencontre souvent !

— Non, maman ! Ça n'est pas ta faute ! Par contre, il n'y a aucune nécessité à ce que tu me le dises !

— C'est un jeune homme charmant !

— C'est sûr ! Même si tu ne le portais pas dans ton cœur, quand je sortais avec, et qu'il m'a brisé le cœur depuis ! Tu veux vraiment qu'on parle de ça maintenant ?! lança Lupita en se tournant vers sa mère.

— Il t'a brisé le cœur ! Il t'a brisé le cœur ! Tu t'en es remise, non ?!

— Je crois que nous allons nous arrêter-là, maman. Parce que sinon, je quitte cet appartement, et je ne reviens plus. Est-ce clair !

— Tu ne veux pas aller au mariage de Jeremy ! Très bien ! Fais ta tête de cochon ! Mais moi, je vais y aller !

— Tu fais ce que tu veux. Te ridiculiser au mariage de mon ex, sera sans doute extrêmement plaisant. Tu pourras dire de moi, tout le mal que tu veux. Il sera d'accord avec toi. Tel que je le connais, il pourrait même te raconter deux ou trois trucs que tu ne sais pas encore de mon adolescence de « délinquante ». Pour ma part, je lui laisse sa vie minable, édifiée sur les cendres de ses rêves d'aventure, et son mariage bidon, qui ne tiendra sans doute pas une vie, vu sa propension à tromper les autres ! finit Lupita en attrapant son PC portable pour partir.

— Et tu n'es pas rancunière, ajouta Mercedes la bouche pincée, en la laissant passer.

Lupita soupira. Pourquoi fallait-il que chaque entrevue avec sa mère se passent toujours invariablement de la même façon ? Que ce soit à cause de Jeremy ou d'autre chose, Mercedes trouvait toujours une raison de faire sortir Lupita de ses gonds. Pas moyen d'y échapper. À croire qu'elle ne cherchait que ça.

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