Chapitre 101 / Retour au bercail

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À peine Lupita eut-elle passé le portique de sécurité que deux folles furieuses se jetèrent sur elle. Emmanuelle et Aïko étaient mortes d'inquiétude ces derniers jours. Savoir que leur amie avait été victime d'une seconde tentative de meurtre, qu'elle avait frôlé la mort, alors qu'elles étaient si loin d'elle... Ça avait été si difficile à supporter !

Lupita les accueillit avec un enthousiasme non feint. Elle les respirait à plein poumon, heureuse de les savoir là, près d'elle. Elles lui avaient tellement manquée. Puis son regard croisa ceux des trois personnes qui patientaient juste derrière. Jung Park, Mercedes Cabrera Vargas et Dieu...

— C'est sérieux ?! Emma ! Tu as amené Dieu avec toi !

— Il fallait bien ça ! répondit l'intéressée en souriant. Après une telle résurrection...

Le drame qui touchait Lupita avait accéléré le tissage du lien entre Gabriel et Emmanuelle. Il avait besoin de son amour, et elle avait eu besoin de son soutien. L'équilibre avait été vite trouvé. Ils s'aimaient passionnément et ne se quittaient plus. Pop-corn ne s'en plaignait pas.

Pour surveiller l'animal en alternance avec Aïko. Emma avait élu domicile chez son amoureux, remplissant son appartement au passage, de tout ce qui pouvait lui donner vie. L'homme triste avait si vite repris goût au soleil et à la confusion engendrée par la vie en couple, qu'il s'en étonnait lui-même. Avec Emmanuelle à ses côtés, il découvrait avec délectation ce qu'il n'avait jamais eu : un bonheur simple, sans confrontation. Un bonheur qui allait de soi. Un bonheur qui lui emplissait si bien le cœur qu'il en oubliait presque tous les drames passés. Et ce miracle était déjà une grande victoire pour lui.

— Il va falloir arrêter de l'appeler Dieu, s'exclama Aïko.

— Je trouve que ça lui va bien, lança Lupita.

— Il va prendre la grosse tête, oui !

— Mais non. Il trouve ça marrant, en fait, finit par dire Emmanuelle en entraînant le groupe vers ceux qui patientaient.

Mercedes n'attendit pas que sa fille soit près d'elle. Consciente d'avoir été moins proche de Lupita ces dernières années, elle avait respecté le besoin de ses amies. À présent, c'était son tour. En deux enjambées, elle fut sur elle et l'étreignit avec force. Alors que son enfant était dans ses bras, elle ne put retenir ses larmes, même si elle s'était jurée de ne pas pleurer.

— Maman... ça va. Tout va bien. Ok. Tout va bien, lui murmura Lupita en lui tapotant le dos comme on l'aurait fait à un enfant désespéré.

— Rien ne va, ma fille ! Rien ne va ! Promets-moi de ne plus jamais remettre les pieds dans cette fichue entreprise ?! De ne plus jamais côtoyer cette maudite famille ?!

— Ça ne va pas être facile, maman.

— Rien de plus simple ! Je vais te trouver un boulot à l'université ! Non ! Mieux ! Je vais te payer cette école où tu voulais tant aller ! Tu pourras faire ce que tu veux...

— Maman ! Je ne vais pas faire ça, dit Lupita en s'écartant de sa mère pour la regarder en face. Ce qui n'était pas simple étant donné que Mercedes tentait de dissimuler son visage ravagé de larmes. J'aime mon job et je ne le quitterai que si on ne veut plus de moi. Quant aux Ryker... Je te signale que nous en avons un représentant à moins d'un mètre et qu'il ne mérite pas d'être traité de la sorte.

Où Lupita trouvait-elle la force de réagir avec autant de sagesse et de calme ? Elle l'ignorait elle-même. Alors que sa mère cherchait simplement à la protéger une fois de plus, alors même que la confusion régnait encore en elle une minute plus tôt, tout était maintenant très clair dans son esprit. Lupita ne se laisserait pas dicter sa conduite par des personnes malveillantes, ni par des amis. Elle ne ploierait pas face à la menace. Elle voulait montrer qu'elle n'abandonnerait pas. Elle voulait être forte et se battre.

— Ne t'inquiète pas, Lupita. Ça va. Je peux comprendre ça... Et puis je ne suis pas complètement un Ryker... dit Jung qui lui avait simplement posé une main sur l'épaule.

— Non, Jung. Ça n'est pas vrai. Tu es un Ryker. Tu n'es juste clairement pas un Yannopoulos. Et ça n'est pas plus un mal.

Jung éclata de rire de manière inopinée, et cela surprit tout le monde.

— Tu as mis le doigt dessus. Je ne suis et ne serai jamais un Yannopoulos. Et quand tu le dis, je me rends compte que je l'avais toujours regretté jusqu'à présent. Mais tu as raison. Ça n'est pas un mal. Mais, est-ce que cela veut dire que les autres Ryker sont bannis de ton cœur ? demanda-t-il finalement avec une certaine gravité, en la fixant.

Elle se contenta de hausser les épaules, en baissant les yeux. Mercedes l'avait lâchée en se demandant ce que cet échange voulait dire exactement. Aïko en profita pour se faire une petite place et poser sa tête parfaitement coiffée de tresses remontées en chignon sur le haut de son crâne, sur son épaule.

— Elle ne répondra plus à aucune question ! Messieurs, dames, Lupita Jones va aller se coucher et récupérer de son vol. Ensuite, nous envisagerons la suite, et poserons les grandes questions existentielles.

— Il n'y a rien à envisager, Aïko. Je vais me reposer jusqu'à demain matin dans mon appart. Seule. Et demain, je retourne bosser. Je suis chez Anthéa depuis trop peu de temps pour abuser ainsi de congés auxquels je n'ai pas droit, dit alors Lupita catégorique.

Personne n'osa la contredire. Il était évident que la jeune femme était décidée. Et tous la connaissait suffisamment pour ne pas se mettre en travers de son chemin pour le moment. Même Dieu.

***

Couchée sur son matelas, Lupita fixait son plafond. Pop-corn dormait près d'elle, allongé le long de son corps, la truffe humide sur son avant-bras. Le chien lui avait fait la fête toute la soirée. Il ne l'avait pas quittée d'une semelle, même quand Santina Mendes était montée seule pour prendre de ses nouvelles. Même quand Lupita avait pleuré dans ses bras. Le chien s'était contenté de gémir la tête posée sur ses genoux.

À bien y réfléchir, il aurait pu paraître étrange que Lupita s'effondre brusquement face à sa voisine, alors que face à se propre mère, elle avait été de marbre. C'était sans doute parce que Lupita voyait bien que la seule issue à la peur de sa mère serait de la mettre sous cloche à jamais. Pas d'avancer, de se battre, de surmonter l'obstacle. Ce que voulait Lupita. Ce dont avait besoin Lupita.

Santina, elle qui avait vécu des drames et les avait surmontés, qui dissimulait des combats anciens et des blessures profondes, savait l'encourager pour aller de l'avant. Elle méritait les larmes qu'avait répandues Lupita. D'ailleurs, elle les avait accueillies avec bienveillance. Puis, elles avaient parlé.

Il y avait eu des évidences. Il y avait eu des éclaircissements. Mais surtout, il y avait eu des confidences. Le cœur de Lupita était brisé. La vie de Lupita était un chaos sans nom. L'avenir de Lupita était compromis. Elle aurait beau vouloir être forte et demeurer debout, ce serait difficile, elle le savait. Pourtant, Santina l'avait rassurée.

La vie était rarement telle qu'on la désirait, et parfois, c'était mieux. Parfois non. Pour le moment, celle de la jeune femme penchait plutôt du côté négatif, mais rien ne disait que cela ne changerait pas dans les jours à venir. Il fallait du temps pour guérir de tels traumatismes, et pour cicatriser un cœur qui saigne. Du temps et de l'apaisement.

Santina était repartie au bout d'une heure avec l'assurance que Lupita boirait la tisane qu'elle lui avait préparée et qu'elle irait se coucher immédiatement après pour récupérer. Si elle voulait pouvoir se battre, il lui fallait de la force. Le sommeil réparateur faisait donc partie du plan.


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