Chapitre 78 / Une existence pleine de non-dits

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Avant même d'ouvrir les yeux, Lupita eut pleinement conscience que quelque chose n'allait pas. Un groupe de maracassistes semblaient avoir élu domicile sous son crâne, tandis qu'un dentiste fou avait indéniablement aspiré l'intégralité de sa salive. La bouche pâteuse, elle ouvrit les yeux une première fois avec lenteur. Puis les referma aussitôt. Pas de parquet usé et peu entretenu, pas de tapisserie parsemée de fleurs désuètes et tristes. Définitivement pas sa chambre. Où était-elle ? Et pourquoi avait-elle aussi soif, bon sang ?! Elle rassembla ses esprits et chercha à savoir dans quelle fête elle avait fini pour être dans cet état maintenant.

C'est alors que tout lui revint : Le lundi matin pluvieux et froid. Klaus qui lui montre la photo du week-end à la mer. L'attaque en interne. La procédure d'urgence. Klaus qui se fait tirer dessus. Elle, prise comme otage jusqu'à finir dans la Seine. Son sauvetage par Ryker.

Lupita se redressa comme un diable sortant de sa boite et examina plus attentivement son environnement. Une chambre aseptisée et anonyme. Une perfusion. Un hôpital ? Ça ne sentait pas l'hôpital pourtant. Il y avait même un bouquet de fleurs fraîches ! Étrange.

La jeune femme bravant la douleur et l'inconfort dû à la soif, tenta de se lever, mais comme elle n'avait pas encore recouvré l'usage intégrale de son cerveau, elle glissa du côté opposé à la perfusion et du bouton d'appel, se retrouvant dans l'incapacité de bouger sans tout arracher, ni demander de l'aide.

Le bras tendu sur le matelas, le corps penché, las et découragé, l'air désespéré d'un chat face à une moustiquaire qui lui barrerait le chemin, l'esprit confus, attendant que son cerveau reboot et trouve enfin la solution à son problème, c'est ainsi qu'Emmanuelle et Aïko la trouvèrent quand elles franchirent le seuil de la chambre quelques instants plus tard.

— Lupe ?! Mais qu'est-ce que tu fais à montrer ton popotin à tout le monde comme ça !

L'intéressée soupira en tentant de remettre de l'ordre dans ce qui la recouvrait et auquel elle n'avait pas fait attention. C'est-à-dire une simple blouse d'hôpital ouverte dans le dos. Le top. Elle grogna, tenta de retrouver un semblant de dignité, échoua. Puis décida de laisser ses amies s'occuper de tout.

Emmanuelle, qui avait saisi le problème en un clin d'œil, avait déjà rapproché la perfusion de la perfusée, et lui avait attrapé un hoodie jusqu'ici posé sur l'unique fauteuil de la chambre. Aïko avait été chercher la bouteille d'eau et le verre mis à la disposition de la malade, sur une tablette près du lit. Lupita ne s'encombra pas du verre. Elle attrapa la bouteille et en siffla la moitié d'un trait.

— Qui l'eut cru ? Tu avais encore soif ?! Après tout ce que tu as dû avaler, pourtant ! s'exclama Aïko en rigolant.

— Ça n'est pas drôle ! Aï ! Elle aurait pu mourir !

— Mais elle n'est pas morte ! Sauvée par le séduisant Darius Ryker !

— Qu'est-ce que c'est que cette histoire ! Tu le trouves séduisant, maintenant !

— Il faut savoir reconnaître ce qui a de l'intérêt, et ce Ryker est un spécimen tout à fait intéressant que j'avais jugé un peu hâtivement.

— Je te signale que depuis qu'il est dans les parages, il n'arrive que des tuiles à Lupita !

— Il pourrait dire l'inverse, je suppose.

— Mais tu es l'avocat du diable, ma parole !

Aïko ne répondit rien se contentant de sourire. Sa relation avec Park lui faisait réviser certains de ses jugements. Et comme Emmanuelle, elle était d'accord sur le fait qu'il n'y avait que les imbéciles pour ne pas changer d'avis.

— Il a juste fait ce que son contrat l'obligeait à faire, murmura Lupita qui avait retrouvé sa gorge et ses cordes vocales.

— Tu penses que parce que vous êtes de faux petits amis par contrat, il s'est senti obligé de risquer sa vie pour toi, alors qu'il aurait tout aussi bien pu t'abandonner, puisqu'il n'y avait aucun témoin pour contredire sa version des faits ?

— Il y avait des témoins.

— Lesquels ?

— Le chef de la sécurité.

— Un homme qui travaille pour lui. Nope. Pas crédible, Lupe. Il a risqué sa vie parce qu'il tient à toi.

— Aïko ! C'est mon boulot, ça normalement ! La maquer avec tous les mecs qui l'approchent ! Qu'est-ce qui est arrivé à la plus pessimiste d'entre nous ?

— L'amour, se contenta de dire Lupita avec un petit sourire crispé.

La jeune femme n'aurait pas parié sur l'association entre Jung et Aïko. Et pourtant, quelque chose se passait entre eux. Une alchimie à laquelle ils n'avaient sans doute pas pensé eux-mêmes le jour de leur première rencontre. Aïko pourrait la contredire, lui parler de légèreté et d'absence de sentiments profonds, mais, ni Lupita, ni Emmanuelle ne seraient dupes. S'ils ne foiraient pas tout, elle, par orgueil mal placé, et lui, par trop de confiance, ils arriveraient à une harmonie heureuse. Un bonheur complexe, mais réel.

Lupita l'enviait presque. Non, Lupita l'enviait vraiment, et elle se demandait bien pourquoi ? Peut-être parce que les évènements qui s'enchaînaient ces derniers temps lui imposaient une multitude de rebonds émotionnels difficilement supportables sur un temps aussi court. À la fatigue physique s'ajoutait la fatigue psychologique qu'elle n'avait jamais expérimenté de manière aussi percutante. Et puis, elle ne devait pas se mentir, elle avait, elle-aussi, envie d'avoir quelqu'un qui l'aime et la désire, quelqu'un prêt à l'impossible pour elle, et pas parce qu'il avait signé un fichu contrat !

Alors qu'elle s'était déjà trouvée dans cette configuration, - ses deux amies avec quelqu'un dans leur vie, et elle seule -, c'était la première fois que Lupita ressentait ce manque de manière aussi intense. Peut-être parce que les nouvelles relations d'Aïko et Emmanuelle étaient, elles-aussi, différentes. Peut-être parce qu'elle avait l'intuition qu'elles ne seraient pas aussi temporaires que les précédentes.

Tout en s'occupant de leur amie, Aïko et Emmanuelle continuaient leur discussion émaillée de réflexions sur les sentiments à ne pas dévoiler immédiatement à leurs partenaires sous peine de les voir fuir à toutes jambes. Mais même là, elles n'étaient pas d'accord.

Lupita se laissait faire. De retour dans le lit, bordée avec soin, l'oreiller relevé, la tablette prête à accueillir un hypothétique repas, elle observait ses amies en se disant qu'à défaut d'un mec dans sa vie, elle avait le cœur rempli de ces deux-là.

— Vous savez que je vous aime toutes les deux, dit alors la jeune femme en souriant.

Chacune d'un côté du lit, Emmanuelle et Aïko s'accoudèrent au matelas en souriant à leur tour.

— On sait, bichette. Tu sais que tu nous as fait une sacrée peur, dirent-elles en chœur avant d'éclater de rire devant leur synchronisation improvisée.

— Moi aussi, j'ai eu peur.

— En même temps, manquer d'être noyée deux fois en si peu de temps, je crois que c'est un signe, dit Aïko.

— Un signe ?

— Il faut que tu apprennes à nager, Lupe, dit Emmanuelle en lui attrapant la main.

— Mais je sais nager, finit par murmurer Lupita en baissant les yeux. Le problème n'est pas là.

— Comment ça, vous savez nager ? s'exclama alors une voix à l'entrée de la chambre.

Darius Ryker en tenue décontractée - pantalon de jogging, tee-shirt, chaussettes - se tenait debout près d'un Jung tout aussi étonné, mais lui, parfaitement habillé d'un costume trois pièces, comme il en avait l'habitude.

« Et merde ! », pensa Lupita. « Qu'est-ce qu'il faisait là ? », se demanda-t-elle, oubliant momentanément qu'il avait risqué sa vie pour elle en se jetant dans la Seine.

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