Chapitre 47 / Les ivrognes

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Un ronflement sonore accueillit sa question. Est-ce qu'un ours aurait élu domicile dans cet appartement ? se demanda-t-elle soudain en entrant plus avant, tout en fermant la porte derrière elle. Elle dépassa l'entrée et s'arrêta net au seuil de la grande pièce principale qui servait de salon et de cuisine.

Le spectacle qui s'offrait à elle était pour le moins déconcertant. Ryker et Park étaient affalés chacun d'un côté de la table basse, jonchée de petits verres vides parfois renversés, leur main dans la position d'un bras de fer éternel et raté. De nombreuses bouteilles de toutes tailles accompagnaient le tableau, aussi bien sur le comptoir que près des deux hommes.

Un nouveau ronflement lui apprit que l'ours s'appelait Ryker. Débraillé, la tête renversée en arrière, posée sur l'assise du canapé, on ne pouvait pas dire que le nouveau directeur d'Anthéa France ait été à son avantage.

Son associé dans le crime ne valait guère mieux. La joue écrasée dans une petite flaque d'alcool - contenu d'un verre qu'il n'avait sans doute pas réussi à ingurgiter avant de s'effondrer -, la bouche ouverte et torse nu, une cravate nouée autour du front, Park ressemblait à un homme qui avait fait un pari et l'avait perdu.

Lupita, les mains sur les hanches, ne put s'empêcher de sourire. Elle en connaissait deux qui, en plus de subir les contrecoups d'une cuite, n'allaient pas être fiers qu'elle les ait vus dans cet état. Et ils le sauraient. Elle se ferait une joie de le leur faire comprendre s'ils avaient un doute.

Elle commença par ramasser les bouteilles, puis les verres. Les premières furent entassées dans un sac poubelle. Les seconds, elles les lava rapidement dans l'évier de la cuisine. Ensuite, elle envisagea de déplacer les deux hommes pour leur éviter un réveil douloureux le lendemain. Notamment Ryker qui allait souffrir du cou à rester comme ça. Mais elle abandonna l'idée quand, prenant le géant blond par les aisselles, elle se retrouva avec son nez dans ses seins, et qu'un murmure qu'elle devina appréciateur, fut émis depuis l'endroit en question. Elle se contenta donc de placer un coussin sous sa nuque.

Laissant là les deux ivrognes, elle prit le sac poubelle contenant les bouteilles vides et partit.

***

Jung fut le premier à se réveiller. Dans sa position, et avec tout ce qu'il avait ingurgité, sa vessie le tyrannisa en plein milieu de la nuit. Il décolla son visage de la table poisseuse d'alcool avec une certaine satisfaction. Le cœur au bord des lèvres, et un marteau-piqueur dans le crâne, il se redressa difficilement et se traîna plus qu'il ne marcha, jusqu'au toilettes. Ses efforts ne rencontrèrent aucun obstacle ce qui ne le perturba pas sur le moment.

C'est quand il se fut rafraîchi dans la salle de bain et qu'il revint, qu'il constata l'absence des bouteilles et des verres. Il fourragea dans ses cheveux sans trouver de réponse raisonnable à ce mystère, car ce n'était certainement pas Darius qui avait fait un semblant de ménage, avant de s'écrouler dans la position dans laquelle il était, qui était d'ailleurs très étrange. On avait l'impression qu'il avait voulu se lever, mais avait abandonné en chemin.

Incapable de réfléchir plus avant, Jung alla se coucher sur le lit de la chambre sans cérémonie, laissant là où il était, son demi-frère. De toute façon, même s'il avait voulu, il aurait été incapable de le déplacer dans l'état où il était lui-même.

***

Darius émergea au petit matin. Dès qu'il commença à bouger, des douleurs diverses achevèrent de le réveiller. D'abord son cou, puis ses cheveux et le crâne en dessous, enfin son bas-ventre. Il grogna, parvint finalement à se lever après plusieurs essais infructueux, pour atteindre d'abord les toilettes, puis la salle de bain. Il fila immédiatement dans la douche où il demeura un long moment sous le jet brûlant, se débarrassant de ses vêtements crasseux au fur et à mesure qu'il reprenait vie.

Ça n'est que quand il fut assez lucide qu'il s'autorisa à laisser partir le trop plein qui lui étreignait la poitrine depuis la mort de son père. Les larmes coulaient en silence et de perdaient dans l'eau de la douche. Il pleura enfin tout son chagrin.

***

— Dis-moi qu'il reste de l'eau chaude, lança Jung depuis la cuisine quand il vit Darius arriver vers lui, simplement vêtu d'une serviette de bain nouée autour des reins.

— C'est quoi tous ces cafés ?

— Ce ne sont pas des cafés ordinaires. Ce sont des cafés remonte-pente. C'est ce qu'il nous faut ce matin. Sinon, pas moyen d'aller bosser.

— Ok, dit Darius en en buvant un cul-sec avant de tousser comme un fou. Putain ! Y'a quoi la dedans !

— Mieux vaut que tu ne saches jamais. Bois en un deuxième, sinon ça ne sert à rien.

— Faut vraiment que je t'aime pour accepter ça !

— Fallait vraiment que je t'aime pour me bourrer la gueule avec toi ! Ça ne m'était pas arrivé depuis mes années d'étude !

Darius grogna en avalant le deuxième café.

— Ça va ce matin ? demanda alors Jung sans précisions superflues.

— Oui. Merci, mon frère, répondit Darius en enlaçant sans façon Jung, avant de le tenir à bout de bras. Putain ! Tu schlingues presque autant que tes cafés remonte-pente !

— Tu ne valais guère mieux, il y a une demi-heure...

— Ouais, mais moi, je ne t'ai pas fait de câlin à ce moment-là.

— Je n'ai rien demandé, je te signale. C'est toi qui t'es jeté sur moi. Un manque d'affection féminine évident, selon moi.

— Je ne t'ai pas roulé une pelle non plus. N'exagérons rien.

— C'est sûr, et il ne valait mieux pas, vu tes exploits d'hier.

Darius fronça les sourcils dans l'attente que son cerveau réponde objectivement à cette insinuation non dissimulée. Puis, constatant qu'effectivement, le baiser donné à Mlle Jones la veille n'était sans doute pas sa plus grande réussite, il haussa les épaules et ouvrit le frigo pour se chercher du frais, afin de donner à sa bouche une sensation autre que celle du café immonde qu'il venait de boire. Il sortit une bouteille d'eau pétillante qu'il posa sur le comptoir. Ses yeux tombèrent alors sur les verres lavés et posés sur l'égouttoir.

— Merci pour la vaisselle, dit-il à Jung qui s'éloignait pour rejoindre la salle de bain.

— Ça n'est pas moi.

— Ça n'est pas toi ? C'est qui alors ?

— C'est pas toi non plus ?

— Non.

Les deux hommes se fixèrent un instant avant de hausser les épaules et de poursuivre ce qu'ils étaient en train de faire. Jung pensa que, peut-être, une femme de ménage était passée... dans la nuit ? Darius pensa que Jung ne se rappelait simplement pas de ce qu'il avait fait sous l'emprise de l'alcool. Il le croyait capable d'accomplir ce genre de prodige. Pourtant dans un petit coin de sa tête, il eut le souvenir d'un parfum féminin et d'une peau douce. Il avait dû rêver. Jung avait raison, il manquait d'affection féminine.

Ça n'est qu'une fois les deux hommes fraîchement habillés et prêts à sortir qu'ils remarquèrent le papier plié en deux sur le sol près de la porte d'entrée.

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