Chapitre 44 / Une alliée inattendue

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Jung, qui se tenait près de la rambarde de pierre au-dessus des quais, éclata de rire en voyant ce que Darius était en train de faire. Il prévoyait une fin brutale au subterfuge utilisé par son demi-frère. Et cela ne manqua pas. Mlle Jones ne s'en laissait pas compter. Dès que leurs lèvres se séparèrent, elle administra à Darius une gifle magistrale digne d'une comédie romantique à gros budget.

Pendant un bref instant, Darius resta planté là, au milieu des badauds mi-amusés, mi-choqués par la scène. Immobile comme une statue de sel. Jusqu'à ce que Jung arrive et l'entraîne vers les escaliers qui menaient à la voiture. Une fois dans l'habitacle, Darius sembla reprendre vie.

— Bordel de merde ! Mais qu'est-ce qui ne va pas chez cette fille ?

— Parce qu'elle t'a giflé après que tu l'aies embrassée pour la faire taire ?

— Tu es de son côté ?

— Pas totalement. J'admets qu'elle est butée, mais tu n'aurais pas dû la suivre. Elle a choisi un lieu public pour que justement tu la laisse tranquille... et toi, tu l'as suivie. Elle avait peut-être juste besoin de réfléchir seule pour se calmer. Maintenant que tu l'as embrassée contre sa volonté et en public... ça va être moins facile de rattraper le coup.

— Mais que je suis con, ragea Darius en se rencognant contre la portière.

— Pas exactement, mais la concernant, tu n'agis pas comme d'habitude.

— Qu'est-ce que tu insinues ?

— Rien. Fais le constat toi-même. Moi, de l'extérieur, je ne sais pas si cette fille t'horripile ou t'attire. Une chose est sûre, tout ce que tu as échafaudé autour d'elle, était raté.

— Elle est comme une gaufre trop chaude. On ne sait pas par quel bout la prendre.

— Pour la manger ? L'analogie est intéressante.

— Mais je ne veux pas la manger ! Je veux dire, que je ne veux pas coucher avec, ni avoir la moindre relation. Elle ne m'attire pas du tout ! Jung ! Tout ceci est un malentendu et une succession de revers dont je ne suis pas le seul responsable.

— Bien. Admettons que ça n'est que le hasard. Pourquoi n'arrives-tu pas à être rationnel quand il s'agit d'elle ? Je t'ai connu plus perspicace.

— C'est la situation dans son ensemble qui me perturbe. Pas elle spécifiquement.

— Alors, je te conseille de refaire faire un contrat, de la garder dans l'entreprise et de trouver un moyen de l'amadouer. Et pour ce dernier argument, oublie l'argent. Elle a été blessée et injustement traitée.

— Le contrat est très bien comme il est.

— Elle a eu beau le lire attentivement, elle ne s'y connaissait pas assez pour voir qu'il la liait bien plus qu'elle n'imaginait à ton bon vouloir. Il faut que tu le changes pour lui montrer ta bonne volonté.

— De toute façon, elle ne voudra pas revenir bosser pour nous. Elle redoute d'être désignée comme, je cite : « la« salope qui couche avec le patron ».

— Équipe-la et utilise-la en free-lance.

— Non. Elle refusera aussi. De toute façon, il n'y a pas moyen de discuter avec elle.

— Oui, mais pas avec ses amies, dit Jung pensif en se garant devant l'immeuble de Mme Kang.

— Elles ne sont au courant de rien. Elles ne peuvent pas nous aider.

— Tu paries le contraire ?

— Pardon ?

— Tu crois vraiment qu'une fille de 23 ans aurait caché un truc pareil à ses meilleures amies ? Je peux déjà te donner la réponse : non. Elle leur en a parlé et elles ont même fait la virée shopping ensemble. Tu n'as pas bien regardé les photos, moi si.

— Et l'une d'elle habite au-dessus de grand-mère Kang.

— Exact. J'ai fait mes petites recherches quand nous avons monté l'affaire de la fausse fiancée. La seconde meilleure amie est la voisine de palier. La gothique qui m'a fusillé du regard ce matin même. Et le gosse au beignet dont tu m'as parlé, est l'un des gamins de la famille du dessous. Famille de substitution pour notre Mlle Jones.

— Elle n'est pas orpheline...

— Non. Mais les rapports avec ses parents ne semblent pas être au beau fixe.

— Donc, tu me conseilles d'aller demander de l'aide aux amies ?

— Nous allons y aller ensemble. Ça vaut mieux, si nous voulons un résultat positif.

— Dis tout de suite que...

— Que tu n'es pas capable de raisonner convenablement pour le moment. Oui, mon cher frère.

***

Emmanuelle n'en croyait pas ses yeux. Elle avait devant elle, dans sa petite chambre meublée, deux hommes aussi séduisants que charmants. Et ces deux hommes lui demandaient un service. Un service énorme, soit dit en passant : plaider leur cause auprès de Lupita qui ne voulait rien entendre. Et pour cause ! Son amie lui avait tout raconté au téléphone la veille, alors qu'elle-même baby-sittait les jumeaux « maléfiques ». Et c'est Emmanuelle qui avait tout raconté à Aïko un peu plus tard dans la nuit, quand cette dernière, qui revenait d'une de ses virées photos, avait vu les messages en absences et ne parvenait pas à joindre Lupita, qui avait éteint son téléphone et mis son casque pour jouer.

Bien qu'elle ait eu les clés de l'appart, Aïko s'était abstenue de débarquer chez sa voisine alors qu'elle se déchaînait virtuellement. Elle était assez maligne pour comprendre que ce dont avait besoin Lupita, c'était de solitude pour se calmer et réfléchir. Si elle voulait parler, elle savait où la trouver.

Et maintenant, deux des protagonistes principaux de toute cette affaire venaient demander de l'aide à Emmanuelle. La jeune femme aurait pu décliner l'offre. Elle aurait peut-être même dû, étant donné ce qu'avait fait ce M. Ryker à sa meilleure amie, mais justement à cause de ce qu'il avait fait, Emmanuelle ne pouvait nier que quelque chose la titillait, là au creux de son esprit baigné de romance et d'espoir d'amour-toujours.

Elle n'était peut-être pas très douée pour se trouver un mec elle-même, mais elle avait cependant suffisamment de clairvoyance quand elle apercevait une opportunité pour quelqu'un d'autre. Et si ce quelqu'un d'autre n'était autre que sa meilleure amie depuis toujours, elle ne pouvait en aucun cas ignorer cette même opportunité.

— Donc vous l'avez embrassée pour la faire taire.

— Pour éviter qu'elle n'explose de colère en public, plutôt.

— Ça revient au même. Vous êtes sacrément mal barré.

— D'où notre sollicitation, dit Jung en souriant.

Il avait bien noté le côté midinette de la jeune femme. Pour autant, il ne la prenait pas pour une idiote, mais il jouait de ses fossettes pour l'amadouer. Et ça semblait fonctionner puisqu'elle lui souriait toujours.

— Ça ne va pas être facile, facile, je vous l'avoue. Lupita est une crème. Un petit soleil autonome, mais quand il y a un trop plein, le soleil se transforme en bombe thermonucléaire. Difficile à désamorcer, donc.

—J'avais remarqué. Elle est plus butée qu'un mulet.

— Je vous déconseille de lui parler aussi franchement, M. Ryker. D'autant plus que tout ceci est votre faute. Souvenez-vous ! C'est vous qui lui êtes rentré dedans à la gare Montparnasse. Et c'est votre susceptibilité qui est encore à l'origine du contrat et de l'idée idiote d'en faire votre fausse petite-amie. Je conçois que vous ayez eu besoin d'un tel stratagème pour contrer les initiatives intrusives de votre grand-père, mais Lupita n'était peut-être pas la bonne personne pour ce genre de rôle.

— Ça aurait très bien pu fonctionner, dit Darius en restant sur ses positions.

Il revoyait Lupita dans la tenue chic qu'elle avait choisie pour se présenter devant Deimos. Ça aurait très bien pu fonctionner.

— Bon, ce qui est fait est fait. Je peux plaider votre cause, mais ce ne sera pas gratuit, dit Emmanuelle avec un large sourire en se levant de son lit-banquette.

—Votre prix sera le nôtre, dit simplement Jung tandis que Darius grognait.

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