Chapitre 9 / Premier amour

689 93 0
                                    

Une fois dans le métro, Lupita ouvrit la housse du portable pour vérifier qu'elle avait bien tout le matériel dont elle avait besoin. Elle remarqua une feuille coincée entre les deux parties de l'ordinateur fermé. Elle la sortit et vit une de ses œuvres d'adolescente. C'était une feuille A4 avec une photo collée au centre et des décorations diverses autour. Dessins, stickers phrases éloquentes. Le tout avait été plastifié pour que ça ne bouge plus et que ça serve de protection à l'écran de portable quand l'objet était refermé. À cette époque, elle détestait les traces de clavier sur l'écran.

La photo la fit sourire malgré elle. On pouvait y voir trois adolescents souriant et heureux. Lupita se souvenait parfaitement du moment et du lieu où avait été pris le cliché. C'était à la fête foraine de l'automne, juste après la rentrée en dernière année de lycée. Emmanuelle tenait absolument à y aller, et Lupita l'y avait suivie.

Elles étaient« tombées » sur Jeremy qui déambulait seul. Évidemment, elles ne l'avaient pas snobé. Premièrement, parce qu'on ne refusait pas les marques d'amitié d'un mec comme lui. Deuxièmement, parce que Lupita crushait sur lui depuis qu'il était arrivé à la rentrée, comme un cadeau prêt à être déballé.

Avec ses airs de beau gosse et son scooter, le garçon avait immédiatement attiré toute une pléiade d'adolescentes, dont Lupita. Il la fascinait, avec ses airs inspirés, et ses références à des poètes ou des philosophes. Il voulait devenir interprète pour les Nations Unies. Il voulait voyager, découvrir le monde. Grands projets, gros idéaux. Son petit côté aventurier la faisait chavirer. Lupita s'imaginait parcourir le monde à ses côtés, marchant sur les traces d'une mère, qui avait oublié cette partie d'elle-même.

C'est à partir de cet après-midi d'automne qu'elle était devenue sa « copine », après un baiser furtif échangé entre deux salles de la maison hantée. Lupita, les yeux pleins d'étoiles, avait cru à leur histoire. C'était la première fois que son cœur explosait ainsi.

Mais le principe romantique qui voulait que les plus belles histoires d'amour finissent toujours mal - Principe qu'Emmanuelle expérimentait déjà à l'époque, en tombant amoureuse de mecs toujours inaccessibles-, allait aussi s'appliquer à cette histoire pourtant simple et sans véritable aspérité.

Un certain nombre de signes auraient dû alerter Lupita concernant sa relation, car la jeune fille ne contrastait pas seulement physiquement avec le grand échalas blond aux yeux clairs. Lui passait son temps à lire, ou à apprendre des mots curieux qu'il replaçait ensuite dans ses conversations avec une fierté non dissimulée dans le regard.

Elle passait son temps devant ses écrans d'ordinateur ou à danser. Même s'il disait aimer cette dernière facette d'elle, Jeremy ne se privait pas de se moquer gentiment, quand il la surprenait en pleine chorégraphie avec ses amies. Quant à sa passion pour l'informatique, il ne la comprenait simplement pas.

Dissimulé sous une tonne de sollicitude, il râlait de la voir fatiguer à cause de ses heures de veille devant son PC ou sa console. Et il se fâchait carrément, quand elle avait un peu de retard à un de leur rendez-vous. Il savait que devant un écran, elle oubliait le temps et le reste. Il était jaloux, et elle ne le voyait pas.

Il lui conseillait des livres d'auteurs obscurs ou en langues étrangères, sachant qu'elle n'en lirait aucun. Il s'en plaignait parfois, l'accusant à mots couverts de manquer de culture. Lupita ne manquait pas de culture. Elle n'avait pas la même que lui. C'était bien différent ! Pourtant, elle le laissait dire. Elle le trouvait tellement incroyable !

Et puis, il y avait eu le bac et ses résultats. Lupita n'avait pas réellement réfléchi à ce qui allait arriver après. Elle pensait en discuter avec son amoureux, planifier une vie à deux. Elle s'était laissée porter. Il lui avait promis un été magique à rêver ensemble.

Il avait commencé par partir une semaine à l'étranger « pour parfaire sa maîtrise de la langue ». Elle s'était convaincue qu'une semaine de séparation n'était rien, surtout avec tous les moyens de communication dont elle disposait alors, et qu'elle maîtrisait déjà parfaitement.

À son retour, Jeremy était déjà différent, mais refusait de l'admettre. Il était moins patient et plus direct. Elle pensait que quelque chose s'était passé là-bas. En réalité, le quelque chose avait un prénom féminin et débarqua quelques jours plus tard pour une semaine.

Beverly était blonde et grande. Des yeux bleus, et un sourire parfait. Elle voulait être top-model. Mais surtout, elle regardait Jeremy, son correspondant, avec des étoiles dans les yeux.

Lupita comprenait. C'était l'effet qu'il produisait la plupart du temps autour de lui. Néanmoins, d'habitude, il ne s'en préoccupait pas, ou feignait de ne pas s'en préoccuper. Alors que là, il était limite à baver devant cette anglaise, « so cute ». Elle pouvait bien n'avoir que deux neurones connectés, et dire toutes les âneries de la terre, du moment qu'elle le disait en français avec son accent à la con, il approuvait sans rechigner.

Toutefois, le pire n'avait pas été de se rendre compte que Jeremy en pinçait pour une autre. Le pire avait été son comportement envers Lupita. Il avait été exécrable avec elle juste avant l'arrivée de l'anglaise, et quand elle avait été là, il avait juré à Lupita qu'il n'aimait qu'elle. Elle avait voulu le croire parce qu'elle l'aimait. Mais il ne faisait que protéger ses arrières au cas où ça ne fonctionnerait pas avec son anglaise.

Beverly était partie, puis revenue. Jeremy était parti puis revenu. Lupita encaissait. L'été avait été catastrophique, avec de multiples tentatives de culpabilisation de la part de celui qu'elle pensait si extraordinaire et qui se révélait mesquin et manipulateur. Lupita n'était pas assez ci, pas assez ça, et elle faisait trop d'écran, et était égoïste, et patati et patata...

Et puis, il y avait eu la soirée.

Quinze jours avant la rentrée, Jeremy avait décidé de fêter la fin des vacances, et accessoirement son nouvel amour clandestin, qui ne l'était pas tant que ça, en définitive. Il avait invité tout un tas de potes, et bien sûr, Lupita.

Elle s'était préparée, avait fait des efforts considérables pour qu'il la trouve jolie. Jeremy l'avait accueillie avec un sourire en coin, puis la soirée avançant, les petites piques s'étaient transformées peu à peu en moqueries de plus en plus cruelles. Pour couronner cette fête cauchemardesque, elle avait fini par surprendre Jeremy la langue dans la bouche de Beverly, une main sous le tee-shirt et l'autre dans sa culotte. Au moins comme ça, c'était clair.

Lupita n'avait rien dit. Elle était partie. Elle avait eu le temps de voir le visage contrarié de Jeremy se refléter dans le miroir près de la porte de la chambre, dans laquelle il avait entraîné Beverly. Il n'avait même pas tenté de la rattraper.

Lupita était rentrée seule en pleurant. Puis, elle s'était calmée. Elle était entrée dans un café ouvert tard, et elle avait pourri tous les profils de Jeremy sur les réseaux sociaux.

Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, car c'était un peu grâce à lui si elle était capable de le faire. Jusqu'à son départ pour l'étranger, Lupita bidouillait les composants pour upgrader des machines, elle concevait des programmes et des mini-jeu pour s'amuser. Elle ne faisait rien en ligne. C'était la perspective de la séparation qui l'avait poussée à s'intéresser au net, à apprendre de nouveaux concepts.

Alors que Lupita vomissait toute sa colère sur le web, en murmurant des imprécations en espagnol et en anglais, comme le lui avait appris ses parents, un jeune type assis à côté d'elle s'était mis à rire. Sa relation pro avec Samuel Crespin avait commencé ici.

D'ailleurs, en parlant du loup, elle venait de recevoir un message de sa part. Pas de longs discours sur sa propre expérience canadienne - Ils n'avaient jamais eu de relation de ce genre tous les deux. Seul le codage les réunissait -, mais un lien à suivre. Lupita cliqua, puis lu l'énoncé de l'article. Son cœur fit alors un bond, et, sans aucune retenue, elle lança un « Putain, les planètes s'alignent enfin ! », qui fit sourire certains occupants de la rame de métro.

Tout sur LupitaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant