Chapitre 2 / Inattendu

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— Pas un mot, Jung, lâcha Darius d'un ton sec en prenant son téléphone pour voir s'il fonctionnait encore malgré l'écran fendu et l'impact latéral évident.

Comme il fallait s'y attendre, le téléphone refusa de se rallumer. Darius le secoua comme si ça pouvait changer quoi que ce soit à une défaillance technique.

— Je ne peux même pas te demander si ça va ?

— Il me faut un autre téléphone.

— OK.

— Assure-toi que rien de tout ceci ne filtre.

— Que rien ne filtre ?... Tu sais qu'il y avait une bonne dizaine de personnes en train de filmer, voire plus ?!

Le regard lancé par Darius à ce moment-là lui confirma qu'il se fichait de savoir combien de péquenauds avaient filmé le flashmob, il faudrait traquer les vidéos en ligne et tenter d'effacer celles qui auraient zoomé sur « l'incident », voire n'aurait filmé que ça...

— Nous sommes en retard, finit par dire Darius en entrant dans la voiture avec chauffeur qui les attendait sur l'emplacement réservé aux taxis.

— La réunion est dans plusieurs heures, M. Ryker. Et vous avez travaillé tous les dossiers dans l'avion et le train, répliqua Jung en reprenant le ton formel qu'il utilisait lorsqu'il travaillait avec Darius.

— Je ne veux pas arriver en retard, et tu sais pourquoi.

Oui, Jung savait pourquoi Darius était si cassant. Pourquoi il prenait ce petit accroc dans son quotidien déjà chargé, comme une catastrophe en devenir. Son arrivée ici n'était pas sans enjeu. Il succédait à son frère au siège parisien d'Anthéa Inc.. Or, tout le monde savait qu'il vivait depuis cinq ans dans les îles Fidji. L'image que voulait donner Darius Ryker était celle de la rigueur en toute chose, pour contrecarrer celle de surfeur blond et glandeur qu'on n'avait sans doute pas manqué de lui coller dès l'annonce de sa nomination.

Contrairement à son frère, sa contribution à la bonne marche de l'entreprise était minime et confidentielle. Quant à ce qu'il avait réalisé dans son existence jusqu'à présent, ça n'avait que peu d'importance, il en était parfaitement conscient. Il avait donc pris contact avec les chefs de pôle dès son départ du pacifique, avait travaillé sur les dossiers transmis dès qu'il les avait réceptionnés, et savait déjà quelles orientations faire prendre à certains clients.

Restait son physique et son comportement. Si pour ce dernier, il n'avait pas grand-chose à changer, puisqu'il était travailleur et déterminé, physiquement, il ne pouvait rien faire contre sa stature et son hâle. Il avait quand même choisi de sacrifier sa tignasse blonde. Toutefois, il passait si souvent sa main dans ses cheveux cherchant ce qui manquait, que malgré sa coupe courte, il paraissait décoiffé comme au réveil. L'effet contrastait avec son costume trois pièces sombre et lui donnait un style dandy décontracté, ce qu'il était loin d'être.

Quels que soient ses efforts de toutes façon, Darius ne pourrait jamais rivaliser avec son frère aîné qui travaillait son apparence jusqu'à accorder la couleur de ses caleçons à celle de ses chemises. Néanmoins, Jung avait salué la tentative de Darius de devenir une meilleure version de lui-même. Ce qu'il trouvait, par ailleurs, parfaitement inutile, puisque son demi-frère était le patron, et qu'il ne lui donnait pas quelques semaines pour impressionner les employés d'Anthéa. Il connaissait sa capacité de travail et de concentration.

Alors oui, Jung savait pourquoi Darius était aussi tranchant. Il était sur des charbons ardents. Le stress ne cessait de monter. Et même s'il n'en montrait rien en façade, il était bien là.

***

En prenant la direction du métro qui la ramènerait à l'entreprise où elle travaillait, Lupita songea qu'avec un peu de chance, le problème aurait été réglé avant qu'elle arrive. Alors elle repartirait pour rejoindre ses amies. Elle n'aurait perdu qu'une heure tout au plus, mais aurait l'esprit tranquille. Sinon, son jour de repos était mort. L'important était qu'elle avait réussi à danser dans le flashmob. Et c'était vraiment super. La vidéo de l'organisateur circulait déjà.

La jeune femme sortit rapidement de la bouche de métro pour courir vers l'immeuble qu'occupait l'entreprise. Une fois de plus, elle sentit son cœur se réjouir parce qu'elle aimait travailler ici. Presque un mois qu'elle avait intégré le pôle informatique d'Anthéa Inc.. Contrairement à ce qu'elle avait craint, elle y avait immédiatement trouvé sa place. L'équipe comptait dix informaticiens comme elle. Mais personne n'arrivait à pister aussi bien qu'elle, les bugs, les virus et les hackers. Elle avait un don pour ça. Un don bien utile, et manifestement indispensable en ce moment.

***

La voiture s'arrêta lentement le long du trottoir sur l'emplacement réservé pour ce genre d'usage. Les deux hommes sortirent en remerciant le chauffeur, M. Duchamp, qui trouva le nouveau patron et son assistant, polis, mais distants. Ils n'avaient fait aucune remarque concernant les bouchons qui paralysait le trafic.

Darius Ryker et Jung Park se dirigèrent d'un bon pas vers l'entrée du bâtiment quand le premier s'arrêta net en suivant des yeux une silhouette, qui venait d'atteindre la porte tournante en courant.

— C'est une plaisanterie ?

— Pardon ?

— Là ?! Tu la vois ? La fille !

— La fille ? Quelle fille ?

— Celle-là ! Là-bas ! Qui entre dans l'immeuble d'Anthéa ! La fille de la gare !

— Tu veux dire que c'est une des danseuses de tout à l'heure ? s'exclama Park en tentant de reconnaître la jeune femme qui venait de passer le tambour vitré.

En vain. Park n'était pas physionomiste pour un sou. Sans compter qu'il n'avait pas vraiment fait attention aux danseuses, trop concentré sur la réaction de Darius.

— Elle bosse pour moi !

— Elle bosse pour Anthéa Inc.... Mais si c'est l'une des filles de la gare, alors elle est peut-être simplement livreuse. Parce que son code vestimentaire ne correspond pas vraiment à l'entreprise.

— Tu as raison ! Ce doit être une livreuse ! lâcha Ryker en passant à son tour le tambour vitré de la porte... ou non... finit-il d'un ton sinistre en voyant la fille passer les tourniquets de l'entrée grâce à une carte professionnelle, avant de s'engouffrer dans un ascenseur.

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