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La suite


Louka

« Mouse ».

La nana aux chips s'appelait « Mouse ».

Non mais quel prénom à coucher dehors !

Toujours est-il que je n'eus pas l'occasion de regretter d'avoir accepté Miss Lays en guise de colocataire pour la simple et bonne raison qu'elle n'était jamais là.

A son humour lourd au magasin, j'avais eu un peu peur qu'elle se montre envahissante, mais en fait, c'était tout l'opposé : un vrai fantôme.

C'était donc bien de l'humour, elle n'en pinçait pas pour moi.

J'étais soulagé. Soulagé... et un petit peu déçu, c'est vrai...

Encore des histoires d'égo, ruminais-je, atterré. Il fallait que j'arrête.

C'était la routine de flirtouiller avec elle. Même si elle n'était pas du tout mon genre. Elle insistait tellement à me draguer que je m'y étais habitué. Je savais qu'elle plaisantait, alors, je la laissais faire, quoi.

Toujours est-il que la nana rentrait très tard de Dieu sait où - travail de nuit, peut-être ? - et repartait tôt, aux aurores, ne laissant derrière elle dans la salle de bains qu'un sillon de parfum enveloppé de vapeur.

Le soir, je trouvais parfois une assiette solitaire séchant sur le séchoir. Les provisions ne descendaient pour ainsi dire pas. Elle mangeait peu ou pas du tout ici. Mais l'appartement me semblait propre, et les objets ne changeaient pas de place. Soulagement.

Je finis quand même par la croiser dans le salon, le samedi, après une semaine de ce manège. A en croire l'heure indiquée par ma montre en braille, il était 13h, et il faisait beau : je sentais la chaleur des rayons de soleil qui passaient dans ma chambre.

A ce stade, j'étais presque content de tomber sur elle.

─ Hey, fis-je. Mouse.

─ Tiens ! Salut, Loulou. Toujours aussi beau mec, dis-moi.

─ ...

Sa voix était chaleureuse, amicale. Elle était toujours de bonne humeur, celle-là. Je trouvais ça hyper agaçant en général. Les gens joyeux. Je n'aimais pas les gens trop heureux, peut-être parce qu'il n'y avait pas tant de bonnes raisons de se réjouir quand on était malvoyant. Mais là aussi, tout était relatif : au groupe de parole, j'avais fait la connaissance d'un certain Ronan, alias Rolly, qui souffrirait de cécité toute sa vie, ce qui n'était pas du tout mon cas si l'opération fonctionnait. Le médecin avait parlé de 90 pour 100 de chances de réussite. J'avais bon espoir de voir très bientôt. Pas Rolly. Rolly serait dans le noir toute sa vie. Eh bien, Rolly croquait la vie à pleines dents. Un de ces types qui plairaient à Benji les yeux fermés...

Mauvais jeu de mots voulu.

Eh bien, je n'étais pas Rolly. Je n'avais pas sa force. Je ne voulais pas l'avoir. Je voulais... voir, c'est tout.

─ Je t'ai à peine croisée, dis-je à Mouse d'un ton dégagé, sauf que j'étais curieux.

C'est vrai, quoi, merde, où filait-elle ainsi chaque jour, chaque nuit ? Chez son mec ?

─ Oh ! fit Mouse, le ton espiègle. Tu m'as manqué, aussi, Lou...

─ Tu es folle. Tu m'as pas manqué du tout. Où étais-tu ?

─ Je te l'avais dit, non ? Je suis super occupée.

─ Ca ne répond pas à ma question.

─ Ce ne sont pas tes affaires, mais il se trouve que j'ai deux boulots en même temps.

Tout le temps du mondeWhere stories live. Discover now