Tout le temps du monde

2

J'eus l'impression de me prendre un train lancé en pleine vitesse dans la figure. J'en eus le souffle coupé, littéralement.

- Q... quoi ? bredouillai-je, estomaqué, le ventre à l'envers, et je le saisis au collet si vivement qu'une partie de son popcorn s'envola du saladier.

- C'est Mouse, répéta Benji, imperturbable.

- Comment ça, c'est Mouse ? Qu'est-ce que tu racontes, bordel !

- Ben ouais, c'est elle. Du calme, laisse-moi respirer, merde.

La pub était déjà terminée.

Repoussant Benji, je me jetai sur son ordinateur ouvert sur le bureau et tapai les mots " pub shampooing sec " dans le moteur de recherche de Youtube. Benji me rejoignit, silencieux. Il fallut quelques essais avant de trouver la bonne.

- C'est celle-là, dit Benji, plutôt inutilement.

- Je sais que c'est celle-là, putain, tais-toi.

Je fis lecture, et la pub s'enclencha. Cette pub que j'avais déjà vue plusieurs fois sans lui prêter la moindre attention se déploya une nouvelle fois sur l'écran.

La fille apparut, valsant au bras du type. On devinait son visage, sans le voir très bien. Impossible de dire la couleur de ses yeux. Elle avait la peau mate, ses cheveux châtains étaient attachés en chignon. Sa robe à brillants moulait son corps gracile. A la fin, elle regarda la camera et sourit de l'air extatique de celle qui vient de se droguer. Je fis " pause ", retenant ma respiration.

Elle était beaucoup trop maquillée à mon goût... mais il était évident que c'était un charmant brin de fille. Comment ça pouvait être Mouse ? Mouse tournait des pubs ? Pourquoi j'en savais rien ? Non, ce n'était pas Mouse. Mouse jouait illégalement au poker et cambriolait des maisons à l'occasion, elle ne passait pas à la télé ! Benji racontait n'importe quoi.

- C'est elle, dit-il d'un ton catégorique alors que je me tournais vers lui, l'air interrogateur. Je l'ai vue quand tu trainais avec elle, alors, évidemment, je sais que c'est elle.

- Le doute est permis, Ben.

- Mais c'est ELLE, je te dis, putain ! C'est Mouse ! Mais bon, fais ce que tu veux. T'es avec Lison, toute façon, non ? On dirait que vous allez vous marier tellement vous roucoulez.

- Pourquoi Mouse serait dans une pub de shampooing ?

- Qu'est-ce que j'en sais ? Il faut bien des gens pour tourner ces pubs à la con, non ? Pourquoi pas elle ? Toute façon on savait pas grand chose sur elle. Mais moi je l'avais déjà vue quelque part quand tu me l'as présentée. Je l'ai vue à la télé. Elle a dû faire un film ou autre chose.

Un film, carrément ?

- Et depuis combien de temps tu sais ça ? fulminai-je, furieux, jaloux.

- J'en savais rien. C'est la première fois que je vois cette pub. Maintenant calme-toi, putain ! C'est toi qui l'as larguée, pas moi. Merde alors.

**

Après ça, je fus parfaitement incapable de me concentrer sur le match.

Mon cerveau était en ébullition.

La première chose que je fis en rentrant chez moi, c'est allumer mon MacBook et remettre la pub. Encore. Et encore.

Et encore.

La fille à la peau mate valsait avec son cavalier, encore, et encore, et encore. On la voyait aussi assise bien droite à un bureau, vêtue d'un tailleur gris, en train de taper au clavier, les cheveux attachés en chignon. Elle ne fixait pas la caméra et la scène ne durait que quelques secondes, tout comme la précédente. Finalement, la fille mystère traversait une cafétéria pleine de jeunes pour rejoindre des copains à elle, souriants et épanouis. Sandales à talons vertigineux au bout de jambes fines, robe d'été verte courte et sexy, cheveux relevés dansant à chacun de ses pas. Elle décochait un sourire à la caméra et lançait un « ... la vie sociale ! » d'une voix que j'identifiai sans aucun mal comme étant celle de...

Mouse ???

Mon cœur battait à cent à l'heure.

Oh, putain.

PUTAIN

" Tu l'as rejetée tellement de fois " me souffla une voix méchante.

Je fus incapable de trouver le sommeil.

J'avais envie de l'appeler, évidemment. Plus que d'habitude, étant donné que j'avais envie de l'appeler tous les jours et que je me retenais. J'étais avec Lison et puis voilà. Mais là, je devais vérifier. Avoir le cœur net.

Au dehors, il faisait froid. La pluie venait de tomber. Sur le chemin de la formation, nerveux, j'appelai Mouse, pour la première fois en plus d'une année.

Répondeur.

Je ne fus pas surpris, mais l'ampleur de ma déception me surprit, elle.

- Ca va ? me glissa Kamal entre deux cours. T'as pas bonne mine.

- Ouais, ça va. Pas très bien dormi.

- Des soucis avec ta meuf ?

Laquelle ?