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Avec tout ça, je n'avais rien fait dans la réserve, j'y restai donc. 

Je n'arrêtais pas de penser à Mouse, à son goût, à sa voix, à son parfum. Je n'avais qu'une envie : la retrouver. J'étais partagé entre excitation et stupeur.

La journée s'écoulait trop lentement à mon goût. Je l'appelai à la pause déjeuner, juste pour entendre sa voix. La discussion se déroula à peu près comme suit :

Moi : Hé, Gretel.

Elle : Salut, Louka.

Moi : Tu manges un vrai repas ou tu es en train de te contenter de chips ?

Elle : Viens donc vérifier.

Moi : J'aimerais bien, mais je ne peux pas. Je déjeune avec ma mère...

Elle : Tu es un fils exemplaire.

Moi : Je peux aussi faire un petit ami exemplaire, tu sais.

Elle : Ah ouais ?

Moi : Ouais.

Elle : Intéressant.

Moi : J'espère, ouais.

Elle : Tes belles paroles ne suffiront pas à me convaincre, cependant.

Moi : Sûrement parce que tu es déjà convaincue.

Elle : Tu ne manques pas d'air.

Moi : C'est ce qui t'a plu chez moi, non ? Mon arrogance ?

Etc, etc.

J'étais là à lui conter fleurette, bon sang.

Je n'en revenais pas.

Et je n'en revenais pas de l'avoir embrassée. Je l'encourageais. Je risquais gros. J'étais déjà trop attaché à elle...

AAAAAAAARGH mais que faire ? C'était irrésistible. Elle pouvait ressembler à un cageot... j'étais sacrément charmé.

Ou perturbé.

Peut-être que même si je la trouvais laide, ça ne changerait rien... j'étais mordu de toute façon.

Cette pensée avait quelque chose de triste, mais aussi d'apaisant.

J'étais sur les charbons ardents quand je quittai la boutique sur le coup de 18 heures.

- Coucou, fit Gretel alors que je sortais du magasin.

- Coucou, toi.

- Je t'ai manqué ? plaisanta-t-elle.

- Terriblement ! admis-je.

Je l'entendis s'approcher. Elle m'embrassa sur la joue.

- Je dois passer voir Markus, ça t'ennuie pas ? Ce ne sera pas long.

- Non, bien sûr que non, allons-y. Comment s'est passée ta journée ?

- Ca va. J'ai eu un peu de mal sur certaines pièces aujourd'hui mais Will a eu la bonté de m'aider. Pour ta gouverne, je fais le signe des guillemets avec mes doigts.

- Je t'assure que ce William en a après toi.

Même si elle prétendait ne pas être intéressée, ça me mettait de mauvaise humeur.

- Il te mate encore ? demandai-je, pas sûr d'aimer la réponse.

- Ca arrive.

Pff.

**

- Ne faites pas de bruit, pria l'infirmière dès qu'on entra dans la chambre du vieux Markus.

Le ton était calme mais anxieux.

- Parlez bas.

Apparemment, Markus n'allait pas trop bien...

- Salut, Markus, dit doucement Mouse.

J'entendis Karl s'agiter.

- Salut. T'es qui ?

Il y eut un lourd silence tandis que je réalisai la portée de cette question.

- C'est moi, Mouse... je viens te voir pour jouer aux cartes, je suis avec Louka (je fis un signe de la main bien à propos). Tu te souviens ?

- Mouse ? répéta Markus, une légère panique perçant dans sa voix. Quel drôle de nom. Jamais entendu parler, gamine. Désolé.

- Mais Markus...

- Non.

Le ton était sans appel, méfiant, presque menaçant.

- Je ne te connais pas. Je ne t'ai jamais vue de ma vie. Du balai.

Un sanglot monta de la gorge de Mouse, et je m'approchai d'elle à l'aide de ma canne, inquiet.

- Je t'en prie, Papa... c'est moi. C'est Gretel.

Hein ? « Papa » ? Markus, ce vieillard... c'était son père ?!

- Papa ? répéta-t-il lui-même, le ton sidéré. Pourquoi tu m'appelles comme ça ? Je n'ai jamais eu d'enfant. Va t'en, je ne te connais pas, espèce de folle furieuse. Dehors.

Oh, l'horreur.

- Mademoiselle, fit la voix pressante de l'infirmière. Je pense qu'il serait mieux de le laisser, il a besoin de se reposer. Repassez demain, si vous voulez.

- Qu'elle ne revienne pas ! s'écria Markus, déchaîné. Et puis quoi encore ! Je veux qu'on me foute la paix ! Des enfants, et puis quoi encore ! Hein ! Du balai !

- Viens, dis-je à Mouse, la saisissant par le bras. S'il te plaît, viens avec moi.

Je l'entendais pleurer tout doucement. Mon estomac en était tout contracté. Tant bien que mal, je l'entraînai hors de la pièce. Dans le couloir, Mouse se blottit contre moi, le nez dans mon t-shirt. Moi qui avais toujours été très à l'aise avec les filles, soudainement, je ne savais que dire. Je la serrai contre moi. Je l'embrassai sur le front, dans les cheveux. J'avais envie de la rassurer. Mais je n'osai pas. Je ne savais pas quoi dire. C'était une épreuve terrible qui lui arrivait, et je trouvais les mots superflus.

Tout était clair à présent ; la raison pour laquelle elle prenait soin de son " ami " Markus... pourquoi elle tenait tant à gagner de l'argent pour l'aider. Elle n'avait pas le choix. Apparemment, elle prenait soin de lui.

- Viens, répétai-je doucement. Sortons d'ici. Allons boire un coup. Je suis tellement désolé, Gret.

Elle ne dit rien.

On sortait à peine de l'ascenseur qu'un parfait inconnu nous alpaguait, ou plutôt Mouse; la voix salace.

- Ah, alors Miss " Passionnelle ", t'as un mec ! Petit veinard. C'est une vraie salope, je parie.

Mon sang ne fit qu'un tour.

- Parle mieux que ça, espèce de pauvre mec. C'est quoi, ton problème ?

- Ouais, elle faisait moins la fière à la télé avec ses sous-vêtements ! " Passionnelle ", mon cul.

Je ne comprenais rien à ce qu'il racontait. Je menaçai le type avec ma canne.

- Fiche-lui la paix. Dégage.

Je le repoussai, pris la main de Mouse. Elle était si petite dans la mienne. Moi qui détestais la bagarre, j'avais des pulsions agressives à l'idée qu'on s'en prenne à elle.

- Viens, on sort d'ici, lui glissai-je.

On se retrouva dehors. Mouse tremblait. Je la pris dans mes bras. Tout ce qui m'importait en cet instant c'est chasser ce sentiment de tristesse intense que je sentais émaner d'elle. Je voulais absolument être là pour elle.

- Je voudrais t'emmener quelque part, murmurai-je. D'accord ?

- ... d'accord.

- On passe juste à la maison prendre quelques affaires. Tu me fais confiance ? Gret ?

- Oui, je te fais confiance, Lou.


Tout le temps du mondeWhere stories live. Discover now