Tout le temps du monde

9

Mouse s'installa sur l'un des canapés, devant la télé.

Je m'assis dans un fauteuil et me mis à lire. J'aurais pu aller dans ma chambre, mais j'étais bien là.

De toute évidence, j'aimais avoir une présence dans l'appartement. C'était mon appart mais si on se rendait à l'évidence, il était bien trop grand pour une seule personne.

Avant j'y passais peu de temps. Toujours une soirée à suivre ou à animer en étant Aria. Maintenant j'y étais constamment. Plus de soirées, on a bien compris. Pour quoi faire ? Être confronté à mon moi passé, à la pitié ou à l'incompréhension des gens ?

Mouse me traitait autrement. Elle me traitait en être humain et ça me faisait du bien, à la boutique familiale, déjà. Elle ne m'avait pas connu avant, ça aussi, c'était bon. Je pouvais être moi... qui que fût cet autre moi... sans comparaison avec l'ancien moi.

J'étais complètement pris par ma lecture, mais finis par dresser l'oreille en entendant des " Alessio et Chloé, c'est reparti pour la vie " " Soraya va quitter l'aventure au profit de Clémentine ! " et autres " Thomas a un petite amie cachée hors du tournage de L'Heure bleue ".

─ Tu regardes ces idioties ?! m'indignai-je à l'adresse de Mouse. Non, pas ma colocataire, s'il te plaît !

─ Dis donc, tu me penses capable d'aimer ce genre de programme pour décérébré ?

─ Tu es en train de le regarder !!

─ C'est juste parce que y'a la pub sur l'autre chaîne. C'est marrant, t'aimes pas ?

─ Qui aime ??

─ Tu serais surpris, dit Mouse le ton sentencieux. Des gens dont t'as pas idée... ils ont l'air prometteur, et puis...

Ca sentait le vécu.

─ Mon ex, par exemple, ajouta Mouse d'un ton nonchalant.

─ Eh bien, tu es chanceuse que ce soit fini, je trouve.

Ca la fit rire, et de nouveau, je me sentis content de moi. J'étais agréablement surpris qu'elle me parle d'elle-même de quelqu'un d'aussi proche, elle qui ne disait pas grand chose de personnel.

Manoeuvrer doucement, ne pas faire fuir l'animal - enfin, l'opportunité d'en savoir plus à son sujet.

─ Qu'est-ce que tu as bien pu trouver à ce pauvre gars ? demandai-je, intrigué. Tu sembles beaucoup trop maligne pour lui.

─ Il embrassait bien dans le cou, rétorqua Mouse, pince sans rire.

─ Pour un amateur de télé-réalité, c'est un argument de poids, c'est sûr, commentai-je, sarcastique.

─ Et oui, mais on ne m'y reprendra plus.

Le téléphone de Mouse sonna sur ces entrefaites. J'entendis Mouse se lever et quitter la pièce.

─ Hé, toi ! susurra-t-elle sans plus s'embarrasser de moi, sa voix perdant en intensité au fur et à mesure qu'elle s'éloignait. Salut. Comment ça va ?

Pendant ce temps, la télé continuait de pérorer des inepties à propos des figurants de l'émission. J'avais envie de zapper ou de mettre sur " mute ", et je ne me serais pas gêné pour le faire si j'avais su où elle avait posé la télécommande. Résigné, je me remis à lire. L'un des seuls sacrifices que j'avais faits depuis l'accident : apprendre le braille. Indispensable, même si j'avais un assistant vocal tout à fait capable de me lire tout et n'importe quoi. Le braille, ça avait été une sacrée aventure. Long et tortueux, difficile, mais je n'avais rien lâché. En un an, je lisais de nouveau.