Tout le temps du monde

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Mouse

Ce soir-là, il y avait un monde fou au Kaziski Jolie. Ca dansait, ça parlait, ça riait.

Eh bien, tant mieux. J'avais déjà joué devant des salles vides : pas fun. Pas fun du tout, au début. Plantée à l'entrée, Sabine exultait : sans nul doute, elle aurait sa commission.

Chris et moi prenions un verre (gratuit pour les artistes et leurs copains) au bar et nous criions pratiquement dans l'oreille pour nous entendre par dessus la cohue.

─ Tu es adorable, ce soir, approuva Chris, détaillant mon brushing impeccable, plein de volume, et mes jambes révélées par ma robe à bretelles.

─ Arrête les salamalecs. J'ai besoin d'un rôle régulier, Chris. Pas ces conneries de figuration que tu me dégottes sans arrêt.

─ Je sais, tu me le répètes assez souvent.

─ Si ça ne t'ennuie pas, ironisai-je, sirotant ma bière, j'aimerais éviter de refaire du shampooinage. Une fois, ça m'a suffit.

─ Je cherche, bon Dieu.

─ J'espère bien, sinon, t'es viré.

Chris roula des yeux, exaspéré.

─ Deux ans qu'on bosse ensemble et c'est comme ça que tu me traites ?

Je restai imperturbable. Il poussa un soupir.

─ OK, j'ai quelques trucs intéressants...

─ Je t'écoute, fis-je, sourcil arqué.

Il chaussa ses lunettes pour lire ses notes tandis que je prenais une autre gorgée de bière.

─ Alors voilà, commença Chris avec un air mystérieux. Le premier casting, c'est une publicité pour l'Oréal. Ils recherchent une femme dynamique et charismatique pour incarner l'égérie de leur nouveau rouge à lèvres. Ça pourrait être un excellent moyen de te faire remarquer.

Je lui jetai un regard incrédule.

─ Tu te fous de moi ? Je viens littéralement de te dire, genre, littéralement, que le shampooing, c'était une fois, pas deux !

J'avais toujours eu des réserves quant aux publicités, craignant de devenir un simple visage souriant pour vendre des produits. Je voulais quelque chose de plus significatif que ça, quand même. J'avais accepté la pub de shampooing sec uniquement pour me sortir de la galère financière où ma défaite face à Marcelli m'avait plongée.

─ Bon, et ensuite ? m'impatientai-je, battant la mesure de la musique qu'on entendait dans le bar avec mon pied.

Chris fronça les sourcils en consultant son carnet.

─ Un casting pour un film indépendant. C'est une histoire touchante sur la rédemption, avec un rôle principal féminin fort et complexe. Le réalisateur est très talentueux, et je pense que tu serais parfaite pour ce rôle.

─ Non. Ce sera pas suffisamment régulier.

─ Sinon, il y a un casting pour un documentaire sur la santé. Ils recherchent une personne engagée, capable de partager son expérience personnelle pour inspirer les autres à prendre soin d'eux-mêmes.

─ Sauf que, Dieu merci, je n'ai jamais été malade, Chris ! Va falloir que tu fasses mieux que ça, hein ?

Il soupira de nouveau, l'air las.

─ Franchement, c'est pas fou, en ce moment.

─ Pas mon problème. Tu crois que je te paie pour quoi ?