Tout le temps du monde

12

La matinée se déroula sans évènement particulier, une matinée tranquille.

William faillit avaler sa chique en me découvrant dans ma seyante robe blanche. Il semblait plus attiré et plus furieux que jamais.

En temps normal, ça m'aurait amusée, mais je restai de marbre.

Milo vint me trouver alors que je dégageais mes cheveux de l'encolure de ma combinaison, prête à commencer ma journée.

─ Ca va, ma petite Mouse ?

─ Ouais, dément.

J'étais de mauvaise humeur. Je repensais à Louka et sa petite amie, et je n'étais pas ravie. Pour sa part, il faut reconnaître qu'elle n'était pas mal. C'était ça, son genre ? En même temps, bon. Une beauté classique. Indubitablement élégante. J'avais mes atouts, comme tout le monde, mais on ne jouait pas dans la même cour. Elle était élancée, avec un port altier, des vêtements griffés. Elle venait du même monde que lui. Et moi j'étais là dans ma combi de mec dégueulasse. Lol.

─ Tes problèmes se sont... résolus ?

Je fixai Milo et son air inquiet, et un sentiment de tendresse me gagna sans que je n'y puisse rien. Milo était un peu comme un vieil oncle. Je l'aimais beaucoup. Sans prévenir, je l'embrassai sur la joue, et il parut tout surpris.

─ Oui, Milo, ça va mieux, maintenant.

Je souriais parce que je lui avais laissé une trace de rouge très visible sur la figure.

─ Bien. Heureux de l'entendre.

Le ton était bourru.

─ Allez, au travail, gamine. Tu prends la Volkswagen qui est arrivée ce matin.

Je lançai ma clé à molette dans les airs et la rattrapai d'une main dans mon dos, avant de m'incliner bien bas comme au cirque. Milo secoua la tête.

─ Attache tes cheveux, fut son seul commentaire, maintes et maintes fois répété.

Et il s'en fut dans son bureau. Je nouai obligeamment mes cheveux en palmier, fit tenir l'édifice précaire avec le Bic bleu tiré de ma poche de poitrine, puis commençai mon ouvrage, me concentrant au point d'oublier mes soucis.

A midi, je me rendis au Monoprix plutôt qu'à la boutique de la famille Lykaios. Je n'avais pas envie de voir Louka. Je m'achetai un sandwich et un Coca, que j'engloutis en vitesse. Une jeune fille en débardeur lilas, assise sur le banc en face du mien, m'observait fixement, les yeux ronds. Elle se pencha pour chuchoter à l'oreille de sa copine, qui se mit à me regarder aussi, sans la moindre discrétion. Je fis de mon mieux pour les ignorer. Alors que je roulais l'emballage de mon déjeuner en boule, ça ne manqua pas, la fille traversa carrément l'espace entre nous pour venir me voir.

Elle me considéra. Je soutins son regard, sans sourire. Elle eut un rire nerveux.

─ Excusez-moi... oh mon Dieu ! Vous êtes trop jolie, encore plus en vrai !

─ Merci.

J'étais mortifiée qu'elle m'ait reconnue malgré le bleu de travail, les cheveux attachés n'importe comment, en train de m'envoyer un jambon beurre toute seule sur un banc de surcroît.

─ Je le savais que vous étiez... que t'étais Mouse, la copine de Julien dans Love Paradise !!!!

─ Non, fis-je avec un sourire bref et dissuasif, tu te trompes.

─ Oh, s'teuplaît ! Je peux avoir un autographe ?

Elle sortait déjà un agenda de son sac, et un stylo feutre rose. La copine nous observait, les yeux écarquillés. L'autre me dévorait des yeux, l'air pleine d'espoir.